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temple présente quelques traces de luxe. Si le patricien en offre certaines marques sur sa personne, c’est dans les cérémonies : c’est l’homme public qui se montre aux regards avec les insignes de la magistrature qu’il exerce. Les aristocraties, dès qu’elles sortent de cette période, ne font guère commencer leur luxe privé qu’à la mort, par la pompe des funérailles, signe de l’orgueil de race, qui devait être à Rome la première cause des lois somptuaires. Cet âge héroïque de la simplicité devait s’épuiser comme tout ce qui est humain. Il y fallut beaucoup de temps. Pour entamer les vieilles mœurs et les antiques institutions, il fallut que la richesse agît comme un de ces dissolvans auxquels rien ne résiste, et qui ont raison du plus dur granit à la longue. Révolution mémorable et moment pathétique, on peut le dire, dans le développement intérieur des peuples, que celui qui vit la richesse prendre place à côté de la naissance ! L’histoire elle-même a consigné le souvenir de ces crises solennelles, et recueilli les cris de malédiction qui accueillirent le luxe naissant ; on les entend à Rome, quand la noblesse se fait elle-même l’instrument de cette révolution, en s’enrichissant des dépouilles des nations vaincues. Le cri d’alarme retentira dans notre France au jour où la richesse mobilière battra en brèche la richesse territoriale. Plus d’une fois la loi somptuaire paraîtra l’arme défensive de cette aristocratie, séduite elle-même par le luxe, et qui voudra en défendre le privilège contre la bourgeoisie rivale ! Mais du moment qu’elle avait consenti à compter avec cette richesse, à la rechercher et à s’en parer avec orgueil, cette aristocratie était vaincue déjà, car elle l’était dans l’intégrité de son principe. La race passait au second rang : les services désintéressés et les distinctions honorifiques s’effaçaient devant les récompenses pécuniaires. Le luxe devenait le mobile d’activité d’une classe étrangère jusqu’alors au calcul. Elle se rapprochait du peuple par les mariages. Elle laissait déchoir le vieil et inflexible orgueil de race qui se repaissait de la gloire d’un nom : ce ne fut plus qu’une vanité humiliée quand la fortune ne s’y joignait pas.

Nous distinguerons les aristocraties territoriales, — qui presque partout et pour un temps plus ou moins long ont pris la forme de féodalité, — et les aristocraties commerçantes.

L’aristocratie féodale a eu son luxe reconnaissable à certains traits généraux. Tels sont : un nombre de serviteurs exagéré, une hospitalité surabondante, une profusion des tables, dont aucune autre sorte d’institution n’offre à ce point le développement. Cela fut poussé jusqu’au prodige. Jamais on ne rencontre ailleurs.de si interminables nomenclatures de mets et de boissons : on les croirait tirées de Rabelais, et pourtant elles sont authentiques. On ne peut