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démocratiques ne me frappe pas moins. On a dès longtemps remarqué le rapport de l’industrie avec la démocratie. L’une et l’autre exigent de la liberté et des lumières. L’une et l’autre ont pour objet, à des titres divers, de satisfaire la grande masse humaine. Le développement de l’industrie tient à l’étendue du débouché. Elle fait plus d’affaires et de plus grandes affaires avec une multitude aisée qu’avec une élite opulente. Le luxe seul semblait faire exception, étant, disait-on, aristocratique par essence. Cela n’est vrai pourtant que dans une certaine mesure. Le grand luxe reste rare et coûteux ; mais il y a un moyen et un petit luxe. L’industrie se faisant la rivale de l’art, l’art descendant jusqu’à l’industrie, se montrent empressés à l’envi et souvent habiles à satisfaire ce luxe qui peut avoir son prix et son mérite. Comment se refuser à voir que l’esprit démocratique est entré pour beaucoup dans cette foule d’inventions ingénieuses dues à l’application des sciences à l’industrie, qui ont eu pour objet la création et la diffusion par le bon marché d’une foule de produits soit d’art, soit d’une utilité courante marquée d’un signe d’élégance ?

Le bon côté du luxe, ainsi multiplié et réparti sous l’influence de l’esprit démocratique de bien-être et d’égalité, ressort, je l’avoue, vivement à mes yeux. Son mérite, c’est de substituer un luxe plus commode en général au faste incommode souvent des anciennes sociétés. La magnificence en souffre, le goût peut risquer de devenir vulgaire, mais ce n’est pas une conséquence forcée, et le progrès que nous signalons n’en est pas moins réel. L’élégance trouve moyen de briller encore dans le vêtement par le choix de la forme et la finesse du tissu. En tout cas, il y a un gain certain. En renonçant aux habits brodés, ornés de passementeries et de fourrures, aux chapeaux à galons et à plumes, à la perruque, à la poudre et aux autres accessoires de toilette, les martyrs de ces modes héréditaires se sont délivrés d’un soin tyrannique et coûteux. Dieu en soit loué ! Je ne me plains pas non plus que la foule, mise alors d’une manière misérable, ne subisse plus l’humiliation d’un contraste aussi marqué. Il y aura moins de dentelles ; mais un linge entretenu avec propreté, fin et beaucoup moins grossier que celui dont se servait naguère la masse du tiers-état, se répandra dans toutes les classes. Il n’est pas un genre de consommation qui n’offrira en ce sens les signes d’une révolution souvent heureuse. Ajoutons qu’elle peut n’être pas sans avantage sous le rapport moral. Ces conquêtes de l’industrie mise au service de l’égalité ont pour effet de profiter à la décence, à la dignité personnelle. C’est tout profit pour ce respect de soi qu’exclut trop souvent la misère. Il est bon enfin que le sentiment de l’art se répande par la diffusion des objets dont