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pécaris, celles d’entélodon et de paléochœrus, celles de chœropotamus, celles de dichobune, celles d’amphiméryx et enfin celles des ruminans actuels. Il n’y a pas loin non plus des molaires des cochons à celles de l’anthracothérium, de ces dernières à celles de l’hyopotamus, de ces dernières à celles du lophioméryx, de ces dernières à celles du dorcathérium et de ces dernières à celles des ruminans actuels.

C’est surtout par la forme des membres que les ruminans sont aujourd’hui différens des pachydermes ; les larges pattes de ces derniers soutiennent leur corps pesant, les empêchent d’enfoncer dans la vase des marécages et leur donnent la facilité de traverser à la nage les cours d’eau ; il serait peu utile à la plupart des pachydermes d’être rapides à la course, car, étant omnivores, ils ont partout de quoi se nourrir, et, étant en état de résister à leurs ennemis, ils ne sont pas obligés de les fuir. Les ruminans au contraire sont des herbivores qui ne peuvent vivre que dans certains parages ; ils ont bientôt dévoré les herbages des plus riches régions, car ils forment des troupeaux immenses : aussi ils vont à travers les déserts passant d’oasis en oasis ; leur panse, sorte de grand sac de voyage où ils emportent leurs provisions de nourriture, suffirait pour nous apprendre que ce sont des nomades. Il faut donc que les ruminans soient bien organisés pour la course, et il le faut d’autant plus que ce sont des créatures d’ornementation faites pour charmer, non pour se défendre, si peu armées qu’elles ne peuvent trouver leur salut que dans la fuite. Aussi leurs membres sont de merveilleux instrumens de locomotion ; il est difficile de voir des pattes plus dissemblables en apparence que celles d’un hippopotame et d’un mouton. Cependant, même dans la nature actuelle, nous observons des transitions entre ces formes extrêmes ; personne ne jugera invraisemblable qu’une patte de devant d’hippopotame soit devenue une patte de cochon, celle-ci une patte de pécari, celle-ci une patte d’hyomoschus, celle-ci une patte de tragule, celle-ci une patte de steinbock, celle-ci enfin une patte de mouton. Néanmoins, tant que l’on considère seulement des êtres des temps actuels, on peut objecter qu’ils appartiennent à la même époque de création, et que, par conséquent, rien ne prouve qu’ils soient descendus les uns des autres ; mais, si on découvre des transitions analogues à celles que je viens de citer dans des couches de diverses époques géologiques, on n’a plus les mêmes raisons de contester qu’une patte de ruminant a pu être dérivée d’une patte de pachyderme. Or nous voyons un insensible passage des pattes les plus lourdes des pachydermes fossiles aux pattes les plus fines des ruminans.