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laisser copier cette lettre, mais, moins prudent que celui-ci, qui la supprima[1], il la montra à Paris, avant de l’expédier, à ses amis les jansénistes, comme un glorieux trophée, comme une preuve de grandeur d’âme. Dans ses lettres à l’abbé Charrier, le coadjuteur lui affirmait qu’il n’en avait pas laissé prendre de copie, mais ses amis de Port-Royal, plus zélés en cela qu’infidèles, se hâtèrent de lui désobéir. Nous savons qu’une copie de la lettre circulait à l’hôtel de Liancourt, et Sainte-Beuve, de son côté, en a trouvé une autre copie dans les papiers du docteur des Lions. Quoi qu’il en soit, voici cette fameuse lettre, qui imprime autant de honte à la mémoire de Retz, qu’elle fait honneur à la finesse du diplomate et au talent de l’écrivain[2].

« J’ai été surpris, monsieur, à un point qui n’est pas imaginable de la proposition que j’ai vue dans votre lettre et j’avoue que, si je ne l’avais apprise par une personne à qui je me fie autant qu’à moi-même, j’aurais douté que l’on eût été capable de la faire. Je suis bien aise de vous faire savoir sur ce sujet mes sentimens ; je vous prie de les faire connaître avec soin aux personnes qui vous ont entretenu sur cette matière pour les moindres desquelles j’ai trop de respect pour ne pas souhaiter avec passion qu’elles soient entièrement satisfaites de ma conduite. J’ai fait voir par toutes mes actions le respect que j’ai toujours eu pour le saint-siège ; je n’ai jamais manqué d’occasions de le témoigner d’une manière qui ne pût laisser aucun doute dans les esprits qui ne sont point passionnés. Il y a eu même des rencontres, dans le peu de temps que M. de Paris m’a laissé pour faire sa fonction, qui m’ont donné lieu de faire connaître à toute la France l’aversion que j’ai des brouilleries et des divisions que la chaleur des esprits, sur la matière de la grâce, peut produire dans l’église. J’ai fait des mandemens publiés et imprimés sur ce sujet ; j’ai interdit des prédicateurs pour ne les avoir pas observés assez ponctuellement ; j’ai contenu les esprits dans une paix douce et chrétienne ; je me suis porté avec ardeur à tous les moyens que j’ai cru capables de conserver la tranquillité dans l’église ; enfin, je n’ai oublié que le zèle ridicule et ignorant qui, sous prétexte de vouloir la paix, cause la guerre, qui est indigne des lumières d’un véritable évêque, et qui aurait sans doute produit un effet bien contraire à la paix des concitoyens, dans une ville aussi savante que Paris et dans une faculté aussi éclairée que la Sorbonne. Je me

  1. Ce qui prouve que l’abbé Charrier jeta scrupuleusement au feu l’original, c’est que nous ne l’avons pas retrouvé parmi les autres lettres de Retz adressées à cet abbé.
  2. Guy Joly, dans ses Mémoires, composés vers 1665, dit que cette lettre était en latin et qu’elle ne fut pas envoyée à l’abbé Charrier ; mais, après un si long intervalle, il ne se souvenait pas bien de ce qui s’était passé. Nous aurons la preuve que la lettre fut expédiée à l’abbé par un passage d’une lettre postérieure.