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l’occasion d’une réunion agricole dans l’Orne pour renouveler l’exposé de la politique du centre gauche. Ces jours derniers, M. Léon Renault a parlé à Brunoy avec autant de raison que d’esprit, avec autant de mesure que de fermeté ; il a précisé d’un trait vif et sûr le vrai programme des constitutionnels libéraux et conservateurs. Tous ces discours, très décidés contre le 16 mai, répondent justement à cette masse d’opinion modérée qui est une force dans le pays, qui ne demande que la sécurité et la paix à l’abri d’institutions respectées, qui reste pour le gouvernement dans les luttes prochaines un antagoniste autrement redoutable qu’un radicalisme déclamateur et bruyant.

Le ministère ne l’ignore pas, il sait bien où est le danger pour lui ; il se compose d’hommes assez habiles pour démêler les courans publics, et, tout en cédant à des entraînemens de répression qui ne le servent guère, il semble depuis quelque temps vouloir pallier ses actes par des paroles, s’étudier à dissiper les craintes, à multiplier les déclarations plus ou moins rassurantes. Que lui demande-t-on ? Il n’a d’autre souci que de défendre le régime établi contre le radicalisme ! Il est le gardien de la loi, de l’intégrité constitutionnelle ! Le ministre de l’instruction publique, M. Brunet, est allé tout exprès dans son pays, à Rulle, pour témoigner de sa bonne volonté en faveur de la constitution et de la république dans un banquet où il a reçu des petits vers et où la verve locale l’a placé au nombre des illustrations de la Corrèze, à la suite du cardinal Dubois ! Le ministre de l’intérieur lui-même, M. de Fourtou, dans ses tournées en Périgord, fait des discours pour désavouer toute inclination cléricale, pour proclamer son dévoûment aux principes de liberté et d’égalité de 1789 ! Il y a des amis du ministère occupés chaque jour à chapitrer le centre gauche, à lui persuader qu’il est en mauvaise compagnie et lui offrant un généreux pardon, à la condition, bien entendu, que le centre gauche rentre au bercail et fasse amende honorable devant le 16 mai. Que le ministère se sente par momens sur une pente dangereuse, qu’il éprouve le besoin de se retenir, de rechercher des appuis moins compromettans que ceux qu’il a, et de renouveler ou d’étendre ses alliances, c’est possible ; son langage se ressent de ces perplexités ou de ces velléités, il prend parfois un accent presque encourageant.

Le fait est qu’en certains momens, à entendre des deux côtés, dans des camps opposés, tous ces discours où l’on parle de la loi, de la constitution, de la république, on serait tenté de croire qu’il n’y a que de légères différences, que tous les rapprochemens sont possibles entre certains groupes des vainqueurs et des vaincus du 16 mai. Comment se fait-il cependant que le ministère ait si peu de chances de réussir, et que la séparation soit, pour le moment du moins, à peu près irréparable ? C’est que les mots et les choses ne sont pas d’accord, c’est que malheureusement le ministère est emporté par un mouvement dont il a cru pouvoir rester le maître et qui le domine ou le paralyse. Il est pour