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Suivons donc cette carrière laborieuse et agitée où au-dessus des conflits intéressés des partis il y a toujours la France. Depuis qu’elle s’est rouverte pour nous dans des conditions si douloureuses, il y a déjà sept ans, bien des hommes qui étaient l’honneur du pays sont tombés ; avant que nous soyons au bout, bien d’autres hommes tomberont encore en chemin ; mais il y a une mélancolie particulière dans la disparition de ceux que vient frapper en plein éclat une mort prématurée. C’est la destinée de M. Ernest Duvergier de Hauranne, qui meurt à trente-quatre ans. Lorsque dès son entrée dans la vie il allait promener sa jeunesse sérieuse aux États-Unis, au milieu du déploiement exubérant des institutions les plus libres du monde, il en revenait avec une série d’études que la Revue s’empressait de publier, et où ce qui frappait le plus c’était la maturité précoce chez cet observateur de vingt ans. Lorsque les malheurs de 1870 ont éclaté, M. Ernest Duvergier de Hauranne a été patriotiquement un soldat et un soldat dévoué, qui a fait courageusement son devoir à l’armée de la Loire. Lorsqu’il est entré dans l’assemblée de 1871, il a été de ceux qui, à défaut de la monarchie constitutionnelle, se sont ralliés à la seule chose possible, à l’expérience sincère de la république conservatrice. Les jours lui ont manqué pour remplir son destin. Il meurt, laissant la génération dont il était à une œuvre faite plus que jamais pour absorber son intelligence et son patriotisme.

C’est une question de savoir si, avant que les élections soient accomplies en France, avant que nos affaires intérieures aient repris leur cours régulier, les complications de l’Orient auront eu le temps de s’aggraver ou de se simplifier. Toujours est-il que cette guerre orientale est pleine de surprises et d’imprévu ; elle est surtout une déception pour la Russie, qui, après s’être élancée avec une imprudente témérité, se trouve réduite aujourd’hui à une pénible et dangereuse défensive en Bulgarie comme en Asie. Entre les Balkans et le Danube particulièrement, la lutte a pris depuis quelques jours un caractère singulier d’acharnement. Les passages des Balkans à demi abandonnés par les Russes, mais partiellement défendus encore par eux, attaqués d’un autre côté par les Turcs, par l’armée de Suleyman-Pacha, ces passages sont disputés par les deux adversaires avec une égale intrépidité, au prix de torrens de sang. Les Russes tiennent encore au col de Chipka, mais ils semblent gravement menacés s’ils ne sont pas secourus. Évidemment la Russie a commis et expie en ce moment une désastreuse méprise. Elle s’est trompée sur les facilités de cette guerre, sur les conditions de la campagne, sur la direction de ses opérations, et elle s’est trompée sur tout cela parce qu’elle a commis une autre méprise, parce qu’elle n’a pas tenu assez compte des ressources militaires des Turcs, qui se sont trouvés capables de se faire respecter, même de gagner des victoires. Aujourd’hui tout est presque à recommencer. La Russie a, pour ainsi dire,