Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des violences du riche, qui peut acheter la force et s’en servir contre ceux qu’il veut opprimer. Un tel régime tend à reparaître dès que la société se dissout et retourne vers son point de départ. C’est ce qui se passa dans la plupart des contrées de l’Europe, dans notre France, quand l’envahissement des populations germaniques, que n’avait point encore civilisées l’influence latine, inocula des habitudes de barbarie à la société occidentale, caduque héritière de la tradition romaine. La désorganisation de l’ancien état de choses eut lieu rapidement, et il finit par ne subsister presque rien des institutions fondées par la Rome impériale. L’Europe occidentale se trouva couverte d’une multitude de seigneuries qui dans leurs relations mutuelles vivaient véritablement à l’état barbare. L’autorité royale et suprême, graduellement affaiblie, fut en France, pour un temps, presque totalement annulée, et le roi, réduit à son seul domaine, n’eut plus guère de puissance sur ses barons. Ceux-ci étaient devenus pour la population autant de maîtres qui se partageaient le royaume, car la propriété s’était confondue avec la souveraineté, et la délégation du pouvoir royal avec la possession héréditaire de l’autorité. En dehors de certaines obligations féodales, auxquelles il réussissait souvent à se soustraire, le seigneur ne reconnut guère d’autre droit que son épée ; il était toujours prêt à s’en servir contre ceux qui s’opposaient à ses exactions ou à ses convoitises, qui lui disputaient la tyrannie qu’il exerçait lui-même. Ce n’était qu’après avoir pressenti ou constaté son infériorité que le seigneur se soumettait, dans les contestations qu’il avait avec ses voisins, au jugement de ses pairs : il n’en reconnaissait ainsi la décision que lorsqu’il s’y voyait obligé par ceux qui avaient intérêt à limiter ses usurpations ; il subissait alors plutôt qu’il n’acceptait la sentence d’un tribunal présidé par le chef militaire et politique dont il relevait, composé de seigneurs ses égaux, liés à ce suzerain par de semblables obligations. C’était le reste d’une organisation judiciaire qui avait ses racines dans la vieille Germanie et qui, apportée chez nous par les Francs, remplaça le système judiciaire romain. Au temps des Mérovingiens, chaque Franc était jugé par un certain nombre de ses concitoyens réunis sous la présidence du comte, du centenier, c’est-à-dire de l’officier du roi. C’était une sorte de jury dont les membres, choisis à raison de leur prudence ou de leur crédit, s’appelaient rachimbourgs ; il prononçait sur toute espèce de contestation, en matière civile comme en matière criminelle. Sous les Carlovingiens, les scabins ou échevins prirent la place des rachimbourgs : ce ne furent plus des hommes seulement réunis pour prononcer sur une contestation, mais des juges permanens envoyés par l’empereur ou désignés par son représentant ;