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devenait victime. Colbert et les juristes du conseil du roi firent conserver cette formalité, quoiqu’elle ne fût pas devenue moins illusoire que celle du serment qu’on avait jadis exigé des avocats de ne défendre que des causes loyales. Si le serment de l’accusé de dire la vérité eût été sérieux, il y aurait eu là une iniquité, mais alors on tenait une telle prescription pour légitime, parce que tout paraissait permis pour atteindre le coupable. Le magistrat ne semblait jamais trop armé pour frapper le crime ou le délit, et, dans la crainte d’en laisser échapper l’auteur, on l’autorisait à agir de façon à l’exposer soit à sacrifier un innocent, soit à attribuer à un coupable un acte plus condamnable que celui qu’il avait commis. On transformait en preuves ce qui n’était que de simples indices, et la conviction anticipée du juge était souvent même regardée comme une preuve, car on rencontre au XVIe et au XVIIe siècle des condamnations qui reposaient, l’arrêt en fait foi et le déclare, sur de simples présomptions. Il a suffi parfois, pour se voir déclarer coupable, d’être véhémentement soupçonné ! La préoccupation du juge d’avoir à punir, que Racine nous dépeint dans le spirituel persiflage de sa comédie des Plaideurs, lui donnait une dureté que constatait Oudart, l’un des rédacteurs de notre code d’instruction criminelle. La conviction de la culpabilité du prévenu, le juge la cherchait dans l’enquête spéciale qui suivait l’enquête générale, dont l’interrogatoire par lui fait était la base et comme le pivot, car il roulait sur les faits à la charge de l’accusé. A dater du XVIe siècle, la loi pressa de plus en plus le moment où cet interrogatoire devait avoir lieu, et finalement l’ordonnance de 1670 en prescrivit l’accomplissement dans les vingt-quatre heures, après ce qu’on appelait le premier décret, c’est-à-dire celui qui renvoyait l’inculpé définitivement devant le juge. L’importance de cet interrogatoire explique le soin que l’on mettait à ce que toutes les questions dont dépendait l’éclaircissement de l’affaire fussent adressées à l’accusé. Le juge n’intervenait pas seul ; le procureur du roi, auquel avaient été communiqués préalablement les actes de l’information, qui communiquait à son tour ses conclusions au juge, avait, comme la partie civile, droit d’indiquer à celui-ci les points sur lesquels il désirait des réponses de l’accusé, et les procès-verbaux des interrogatoires dont lecture avait été donnée à l’accusé leur étaient communiqués.

L’enquête par laquelle s’ouvrait le procès criminel avait pour objet de permettre au juge d’apprécier la nature et la gravité du délit ou du crime. Celui-ci pouvait alors rendre ce qu’on appelait un règlement à l’extraordinaire ou un règlement à l’ordinaire, selon que le délit ou le crime lui paraissait de nature ou non à entraîner une peine afflictive ou infamante, à être conséquemment du ressort de