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Toute la théorie de la constituante en matière de droits féodaux repose sur la distinction des droits rachetables et des droits non rachetables. En quoi consiste cette distinction ? Quel en est le fondement ? Que doit-elle représenter pour nous ?

Suivant Merlin, le terme de droits féodaux ne doit signifier rigoureusement que les droits qui sont nés du contrat de fief ou d’inféodation : nous expliquerons plus tard le caractère propre de ce contrat ; mais dans l’usage ce terme avait fini par s’étendre à tous les droits, quels qu’ils fussent, qui se trouvaient ordinairement réunis entre les mains des seigneurs, et dont l’ensemble composait ce que les feudistes appelaient le complexum feudale. C’est ainsi que, suivant Merlin, les rentes seigneuriales, les droits de champart, les corvées, les banalités, même les tailles seigneuriales, n’étaient pas à proprement parler des droits féodaux, mais en avaient pris le nom par leur mélange avec ces droits. Comment se reconnaître au milieu de cette complexité ? C’est cependant ce qu’il faut essayer de faire, si l’on veut comprendre le principe du rachat et du non-rachat appliqué à tant de droits différens. Merlin est l’autorité décisive en ces matières, car ce sont ses vues, ses théories, qui ont été adoptées et mises à exécution par la constituante : il méritait d’ailleurs cette autorité par sa science profonde, son expérience juridique et la haute lucidité de son esprit.

Lorsque l’on décompose le complexum feudale, on y rencontre, selon Merlin, divers élémens, et en premier lieu un certain nombre de droits sur l’origine historique desquels on n’est pas d’accord, mais qui avaient pour caractère d’être représentatifs des droits de souveraineté. On sait qu’au moyen âge la souveraineté a suivi la propriété, et réciproquement. Le seigneur était à la fois souverain et suzerain. Son titre de propriétaire lui conférait tout ou partie de la puissance publique. Réciproquement, le souverain, le roi par exemple, était en même temps propriétaire et souverain. De cette confusion étaient nés une multitude de droits qui lui avaient survécu. Depuis longtemps, la puissance publique s’était concentrée entre les mains du roi : le seigneur ne possédait plus que les moindres privilèges de l’autorité publique ; un grand nombre de droits qui primitivement avaient le caractère de contributions publiques s’étaient transformés en revenus privés. Ces droits représentatifs de la souveraineté étaient appelés droits de justice, et la souveraineté féodale s’appelait la justice. De là cet aphorisme : la justice suit le fief, mais sans se confondre avec lui. Les justices seigneuriales ne comprenaient pas seulement les droits de juridiction et les tribunaux, mais tous les droits pécuniaires et autres qui dérivaient de la souveraineté, laquelle était devenue une fiction ou