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biens qui furent ainsi affranchis d’un coup, un grand nombre avaient subi plutôt que reçu la protection féodale.

Une seconde considération, c’est que le système féodal formait un tel enchevêtrement que presque tout le monde était à la rois seigneur et vassal. Tout le monde payait ou recevait des rentes féodales ; Il s’ensuit que beaucoup de ceux qui étaient dépouillés comme seigneurs se retrouvaient libérés comme vassaux. Sauf les classes populaires, qui gagnaient sans perdre, et la couronne, dernier terme de l’arbre féodal, qui perdait sans rien gagner, tout le monde gagnait et perdait à la fois ; cela est si vrai que l’un des plans proposés au comité de féodalité, et que Merlin et Tronchet ont discuté très sérieusement, proposait précisément que la couronne accordât l’affranchissement aux grands vassaux, à la condition pour ceux-ci d’affranchir leurs propres vassaux et ainsi de suite. L’auteur de ce système disait « que le mieux est l’ennemi du bien. » Le mieux étant une liquidation de détail presque impossible, le bien était un affranchissement général sans distinction. Tronchet fit un rapport sur ce système et le fit rejeter comme consacrant trop d’inégalités ; mais il ne le considère pas comme indigne de discussion, et ce M en définitive celui que la force des choses a fait triompher.

En troisième lieu, l’abolition définitive des droits féodaux n’a été après tout que le dernier acte d’une révolution qui durait depuis des siècles, et qui tendait toujours à faire passer la propriété du seigneur au vassal. Le premier acte en avait été l’hérédité des bénéfices, consacrée par les traités d’Andelot et de Quercy. A partir de ce moment, le fief, au lieu d’être une concession provisoire et aléatoire, était devenu une propriété. Sans doute, cette hérédité des bénéfices avait été à l’origine une usurpation sur l’autorité royale et sur le droit des seigneurs ; mais c’était précisément cette usurpation qui avait constitué le régime féodal, et ceux-là qui se fondaient sur ce régime n’avaient guère le droit de désavouer une usurpation qui était le fondement de leur propre droit. Or le même droit qui avait fait passer les terres de la condition viagère à l’état de propriété héréditaire pouvait évidemment transformer le fief en alleu : , et c’est ce qu’a fait la révolution. En un mot, si la possession de fait avait pu conquérir l’hérédité, la possession héréditaire avait pu conquérir la propriété complète.

Pour bien comprendre l’essence de cette révolution, il faut se rappeler que ce qui constituait essentiellement la propriété féodale, c’était d’avoir deux maîtres : le seigneur et le vassal. Ce serait se faire une idée très fausse de ce contrat que l’on appelle contrat de fief que d’y voir une sorte de fermage perpétuel. Le fermier n’est