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bénéficiaires, ne leur porte donc aucun préjudice. Restent l’intérêt des pauvres et l’intérêt du culte ; mais, si la nation s’en charge, elle aura le droit de toucher au fonds, « au moins en cas de calamité générale, » et Talleyrand affirmait, ce qui n’était guère douteux, que l’on se trouvait en tel cas. En conséquence, il proposait de s’approprier les biens des communautés en assurant à chaque religieux les moyens de subsister ; en second lieu, de s’attribuer les revenus des bénéfices sans fonction ; enfin de mettre la main sur le reste des fonds, en assurant d’une part une subsistance honnête aux bénéficiers, et de l’autre en se chargeant du soin des pauvres et de l’entretien du culte.

Quelle était la valeur économique de ce système ? Avait-il l’efficacité financière que se proposaient ses auteurs ? Des juges habiles et très compétens, M. de Lavergne, par exemple, en ont douté. Au point de vue politique, des doutes plus graves encore se sont élevés. En s’imposant le salaire du clergé, a-t-on dit, la nation ne s’est-elle pas imposé pour l’avenir de grands embarras ? N’a-t-elle pas créé par là un entrelacement des affaires ecclésiastiques et des affaires politiques qu’il sera bien difficile de débrouiller ? En croyant fonder un clergé national et libéral, n’a-t-on pas créé précisément un clergé ultramontain ? N’aurait-il pas été plus sage et en définitive plus favorable à la cause de la révolution d’opérer dès lors la séparation de l’église et de l’état, en laissant au clergé tout ou partie de ses propriétés ? Ne l’aurait-on pas par là attaché aux nouvelles institutions, au lieu d’en faire un implacable ennemi ? Ces doutes sont certainement légitimes ; cependant n’est-il pas arbitraire de supposer que le clergé, s’il fût resté propriétaire libre, ne serait pas devenu ultramontain et se fût rallié à la cause de la révolution ? Le seul fait de la sécularisation de l’état suffisait pour rendre le clergé hostile, lors même que l’on n’eût touché en rien, ce qui était impossible, à ses privilèges. La question revient donc toujours : lequel est le plus redoutable pour l’état d’un clergé propriétaire ou d’un clergé salarié ? Or je ne crois pas qu’aucun esprit vraiment politique puisse hésiter sur ce point. Mais laissons de côté la question politique pour revenir à la question sociale, celle du droit de propriété. Cette question fut abordée et traitée avec une grande force de pensée et de logique par Thouret, Tronchet, Mirabeau, d’une part, et de l’autre par Malouet et l’abbé Maury. Résumons cette mémorable discussion.

Thouret s’attacha surtout dans son discours à développer la pensée de Turgot. Il soutenait que la propriété doit être individuelle et non collective. Les individus, disait-il, existent avant la loi ; les corps n’existent que par la loi. Là était le nœud de la question.