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plus large au réalisme de Guillaume de Champeaux, n’était pas encore le vrai propriétaire : il n’était réellement qu’administrateur. Les adversaires étaient irréfutables quand ils avançaient que le caractère distinctif de la propriété faisait ici défaut : le clergé n’avait pas le droit d’user et d’abuser ; il était si peu propriétaire qu’il n’était pas même usufruitier, car il ne pouvait pas consommer les fruits ; Il n’était pas plus propriétaire de ses fonds que l’état ne l’est du budget. En réalité, son rôle se bornait à celui d’un exécuteur testamentaire dont les services sont évalués et rémunérés par une part sur la succession, sans qu’il soit pour cela héritier. Où donc était alors le vrai propriétaire ? Les fondations avaient deux buts : l’entretien du culte et le soulagement des pauvres. Considérons. d’abord ceux-ci : seraient-ce les pauvres qui seraient, comme le disait Malouet, les propriétaires cherchés ? Ici au moins nous aurions des propriétaires réels. Il eût fallu alors transférer la propriété aux pauvres et la leur donner au moins à titre d’usufruit (car il fallait réserver les droits des pauvres futurs). Or personne n’eût admis une telle conséquence, et elle était évidemment en dehors des prévisions des donateurs. le vous donne de l’argent pour le distribuer aux pauvres : les pauvres n’en deviennent pas par là propriétaires ; ils n’ont même aucun droit légal de réclamer cet argent. Entre mille raisons, la plus frappante, c’est que les pauvres ne constituent pas une classe sociale reconnue, déterminée ; si je n’admets pas la réalité de l’être abstrait appelé clergé, à plus forte raison nierai-je celle de cet être abstrait appelé les pauvres. Si nous considérons maintenant l’autre objet des donations, à savoir l’entretien du culte, nous trouverons qu’il se ramène à deux points : le matériel et le personnel ecclésiastique. Or, pour ce qui est du matériel, il n’est personne qui soutienne qu’une donation puisse être faite à des objets matériels. Les pierres d’un temple ne peuvent être propriétaires. Les choses sont l’objet et non le sujet de la propriété. Restent les personnes ecclésiastiques. Nous retrouvons ici le clergé à un autre point de vue que tout à l’heure. Il reçoit d’abord des donateurs le tout en qualité de biens à administrer ; puis il s’attribue à lui-même une partie du tout, en tant que subsistance honnête ; mais ni à l’un ni à l’autre de ces points de vue il n’est propriétaire dans le sens strict, car d’une part il n’est qu’administrateur, et de l’autre il n’est que subventionné. Il reçoit sa part comme les pauvres reçoivent la leur ; il n’a donc pas plus droit que les pauvres eux-mêmes à s’approprier le fonds ; il n’est pas même propriétaire de la part des fruits qu’il reçoit, car c’est un salaire et non un usufruit.

Ainsi, de quelque côté qu’on se tourne, on ne trouve pas de propriétaires réels, de substances ayant un titre effectif à la