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propriété. C’est qu’en réalité les dons des fondateurs n’ont été attribués à personne en particulier ; ils ont été confiés à un corps, comme fidéicommis, pour la réalisation d’une idée. Si l’on voulait parler rigoureusement, on dirait que c’est cette idée qui est propriétaire. Les biens n’appartiennent ni à l’état, ni au clergé, ni aux pauvres ; ils appartiennent à « l’entretien » du culte et au « soulagement » des pauvres. Ce sont ces deux objets purement idéaux qui, seuls, ont le droit de réclamer ces biens comme leur appartenant ; or ce ne sont pas là deux substances, ce sont deux idées. Hegel triompherait ici, et prouverait par là combien il est vrai que l’idée est la seule réalité, car on ne peut pas trouver de propriétaire, et cependant il y a une propriété. Cette propriété n’appartient à aucune substance, pas même à une substance universelle appelée clergé ; elle appartient à une abstraction, à savoir que le culte doit subsister et être entretenu ; et que les pauvres doivent être soulagés. Les vrais propriétaires, dans cette supposition, ce seraient les idées de Platon, qui ne seraient même plus des substances, mais des essences, des rapports, des attributs, voire des négations, car on pourrait concevoir des fondations « nihilistes » aussi bien que des fondations religieuses ou de bienfaisance.

On voit à quelle profondeur de métaphysique il faudrait pénétrer pour trouver le fondement de la propriété ecclésiastique. Descendant de ces hauteurs, nous demanderons maintenant si la loi peut connaître de pareils contractans dans la société. Peut-elle être liée par une idée pure, négocier avec elle, la soumettre aux tribunaux, en un mot, la faire entrer dans le code concret qui constitue une société civile ? La loi ne peut traiter qu’avec des hommes, elle ne peut faire de conventions que pour des hommes. Les choses ne peuvent être appropriées que par des personnes. La révolution française, en combattant et en abolissant la propriété de mainmorte, travaillait en faveur de la propriété individuelle. Tel est le sens de la lutte contre les biens de corporation aussi bien que contre les droits féodaux. Faire que les biens passent des individus aux individus, et ne s’immobilisent pas d’une manière impersonnelle, voilà ce qu’elle a voulu, et cette entreprise est exactement le contraire du communisme. Qu’elle ait agi en cette circonstance avec prudence et modération, qu’elle ait suffisamment tenu compte des droits du passé, des faits acquis, des antiques précédens, on ne le soutiendra pas, et c’est en cela qu’elle est une révolution ; mais que la direction philosophique de ses travaux ait été dans le sens de la propriété et non dans le sens du communisme, c’est ce qui résulte manifestement des considérations précédentes, — car, s’il y a une doctrine qui conduise droit au communisme, c’est précisément la théorie de la mainmorte. Une propriété qui n’est jamais à