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cour, afin de retarder la promotion du coadjuteur, en était réduit à faire l’aveu de son impuissance.

« Je n’ai, écrivait-il à Brienne, d’autre voie de rallonger ou raccourcir cet office (de la promotion) qu’en donnant sous main de la jalousie ou de l’espoir à la princesse de Rossano sur ses désirs pour l’abbé Aldobrandini, n’étant pas assez d’intelligence avec le saint-père… pour lui faire avancer ou retarder la promotion, et ainsi il faut que j’assiège cette place avec la sape, ne la pouvant emporter d’assaut et à force d’armes… » L’action du bailli, comme on peut en juger, était loin de répondre à des expressions si pompeuses.

Cependant Jean-Baptiste de Gondi, bailli de Pise, premier ministre de Ferdinand II de Médicis, grand-duc de Toscane, pressait vivement ce prince de favoriser l’affaire de son parent le coadjuteur. Le grand-duc, qui était fort ami du roi d’Espagne et de son premier ministre, don Luis de Haro, les intéressa si vivement au succès de la promotion du factieux prélat, dont le rôle turbulent leur était si utile dans Paris, qu’ils s’entremirent l’un et l’autre avec chaleur auprès du pape et qu’ils dépensèrent jusqu’à 70,000 pistoles pour la faire réussir[1]. Le pape d’ailleurs y trouvait trop bien son compte pour ne pas se rendre enfin à leurs pressantes sollicitations.

On était arrivé au 19 février, c’est-à-dire au jour même que la promotion eut lieu, et le bailli en était encore à ignorer ce qui allait se passer. À cette date, il avait reçu l’ordre de Brienne de reprendre ses visites au Vatican et il lui répondait ce jour-là même, 19 février (ne perdons pas de vue cette date), qu’il se disposait à lui obéir et à demander audience pour le vendredi prochain. La lettre du bailli était à moitié écrite, lorsque tout à coup lui arriva la nouvelle que le pape, le matin même, avait promu dix cardinaux, parmi lesquels le coadjuteur. Voici en quels termes il annonçait à Brienne cet événement, qui devait être si désagréable à Mazarin :

« La promotion s’est faite ce matin de douze sujets au cardinalat dont dix ont été déclarés dans le consistoire, et deux réservés in pectore. Elle fut résolue hier matin, après l’arrivée du courrier de Lyon, et tout le monde tombe d’accord, ajoute le bailli qui nous fait toucher du doigt la vraie cause de la décision d’Innocent X, que le pape s’y est porté, crainte qu’il ne vint un changement de la nomination de France, prétendant sa sainteté donner un homme en tête à M. le cardinal Mazarin pour lui disputer la prééminence dans le ministère. Et si leurs majestés ne sont inclinées à cette

  1. Ce que dit le bailli de Valençay, dans sa correspondance, sur l’action secrète des Espagnols dans cette affaire, parait d’autant plus vraisemblable que nous savons par les lettres de Retz à l’abbé Charrier toutes les négociations du prélat auprès du bailli de Gondi.