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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.

nous y méprendre : la tête quadruple était celle de Prohm ou de Brahma ; la seconde, en plusieurs morceaux, ayant au milieu du front un œil vertical, ce troisième œil qui lance la flamme, était celle de Siva ; la dernière enfin, surmontée du casque, fut reconnue par les lettrés cambodgiens pour une des représentations de Préa Noréai, leur Vishnou. Ces trois têtes, religieusement recueillies et conservées lors de la destruction de l’édifice de Phnom-Boc, appartenaient donc aux grandes divinités brahmaniques, et chacune d’elles avait dû occuper un des trois sanctuaires abrités par les préasats.

Notre retour à Siem-Reap ne se fit pas sans difficultés. La crue des eaux ayant emporté les ponts des torrens, nous fûmes contrains à de longs circuits. Épuisés par la fatigue et aussi par la fièvre, conséquence de notre séjour au milieu de ces marécages insalubres, nous nous laissions traîner paresseusement étendus dans nos chars à bœufs, tandis que notre interprète caracolait auprès de nous, monté sur un petit cheval qu’il avait acheté à Pracang et tout entier aux supputations du bénéfice qu’il pourrait faire en le revendant au retour : soudain, au sortir d’un épais massif, un bruit de souffles puissans arrêta court notre équipage ; hommes et bêtes demeurèrent glacés d’effroi en apercevant les têtes menaçantes d’une troupe de buffles sauvages qui nous regardaient fixement, tout prêts à fondre sur nous. Nous épaulâmes vite nos fusils ; mais déjà les conducteurs s’étaient jetés en bas des chars et avaient détourné les bœufs en les poussant dans les broussailles. En un clin d’œil toute notre caravane disparut au milieu du fourré. L’émotion néanmoins avait été très vive, et dans ce brusque mouvement de retraite quelques dégâts s’étaient produits à nos véhicules. On les répara vite hors de la vue des buffles, sous l’abri hospitalier de la futaie.

On, comprend que nous n’étions pas équipés de manière à donner la chasse à ces terribles animaux. Les indigènes ne les attaquent guère de front sans avoir pour auxiliaires des éléphans robustes, et souvent ce périlleux exercice amène mort d’homme. Le roi Norodom aime cependant avec passion cette espèce de sport, et dès qu’on signale des buffles dans les grandes plaines marécageuses des environs de Phnom-Penh, il part en guerre dans tout l’appareil d’un prince asiatique. Nous avons souvenir qu’un jour, nous trouvant chez un mandarin du Laos siamois, possesseur d’éléphans parfaitement dressés, nous eûmes le plaisir d’être convié à une de ces émouvantes battues. Il s’agissait d’attaquer tout un troupeau en rase campagne. La colonne offensive se composait d’une dizaine de chasseurs armés les uns de fusils, les autres de flèches empoisonnées, tous montés sur des éléphans conduits par leurs cornacs. Développés en tirailleurs à une petite distance les uns des autres, et prêts