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agrégations, déjà fort éloignées de la position normale, vont achever de perdre leur équilibre, et que l’anéantissement définitif de ce chef-d’œuvre d’architecture va s’accomplir sous nos yeux, si ce n’est même sur nos têtes.

Les pluies diluviennes, les tempêtes accélèrent encore le travail dévastateur de la végétation. Une nuit, pendant un ouragan terrible qui emportait pièce à pièce la case où nous étions campés, nous entendîmes un grand fracas : le lendemain, à la place d’une tour que nous avions admirée la veille, nous ne trouvâmes plus qu’un semis de pierres. Aussi mettions-nous tous nos soins à recueillir par la photographie, par le dessin, par des mesurages exacts de toutes les parties dont il était possible de reconnaître la forme primitive, les élémens d’une restitution propre à conserver le souvenir de ce beau monument.

Au nord-est de l’enceinte d’Angcor-Thom, un autre temple, celui de Préa-Kane, occupe, y compris un lac sacré qui en dépendait jadis, une surface d’environ 2 kilomètres carrés. Il se compose d’une cinquantaine de tours et de diverses constructions dont plusieurs sont grandioses et d’un bel effet ; malheureusement cet ensemble est aussi dans un affreux état de délabrement. Nous découvrîmes toutefois, de chaque côté des ponts jetés sur les douves du parc, des restes nombreux de ces parapets originaux qui consistent en des corps d’énormes dragons soutenus par des files de dieux et de géans Yak-sa.

Au sud de Préa-Kane se trouve la pyramide de Ta-Kéo avec ses cinq étages, ses hautes tours et ses étroits édicules. M. Ratte s’y était établi dans une sorte de cellule d’où il rayonnait alentour. Plus loin, nous vîmes encore de grandes entrées triomphales gardées par des animaux étranges, des préasats couvertes de ciselures, véritable dentelle de pierre, de longues murailles revêtues de bas-reliefs, et presque dans chaque centre de ruines une galerie pleine de fragmens dégrossis, de piédestaux, de sculptures ébauchées, qui semblait avoir été l’atelier de travail des nombreux ouvriers préposés jadis à l’entretien de ces édifices. Nous apprîmes en outre par le vieux chef du hameau, qui occupe actuellement un des coins de l’ancienne résidence royale, que nos cases étaient construites sur l’emplacement même du champ de course, près duquel se trouvaient également les parcs des éléphans, des bœufs, des chevaux, ainsi que le grand bassin sacré qui dépendait du palais.

Bien que nous nous fussions soigneusement partagé la besogne, nous ne pouvions suffire à visiter tous les points intéressans qui nous étaient chaque jour signalés. Par une coïncidence fâcheuse, une seconde fête importante, celle des ancêtres ou des morts, qui