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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.

raut, dont le concours nous avait été si utile pour mener à bonne fin les difficiles opérations de levés de plans, qui se chargea d’entreprendre cette autre campagne. Parti en barque de Phnom-Penh, il atteignit, après toute sorte de péripéties dramatiques que nous sommes obligé d’omettre ici, la ville de Battambang, chef-lieu de la province du même nom, d’où il explora d’abord les antiquités environnantes, Basset, Ponteay-Chma, Vaht-Ek, etc. Vaht-Ek entre autres a sa légende, que M. Faraut a recueillie au passage. Une ancienne reine de la contrée, amie et protectrice des arts, avait défié le roi de la ville d’Indra (Angcor) d’élever un temple en aussi peu de temps que le feraient ses propres architectes. La gageure acceptée, de chaque côté l’on se mit à l’œuvre, et les travailleurs de rivaliser d’empressement. Un feu allumé sur le sommet de l’édifice devait en annoncer l’achèvement. Quelques pierres manquaient encore au temple de la reine lorsqu’elle aperçut avec effroi une lueur à l’horizon ; ses ouvriers perdent courage ; ses courriers se rendent à bride abattue auprès du prince : « Quelle est cette lueur ? lui demandent-ils. — C’est l’étoile du matin… » Et Vaht-Ek, le temple superbe, ne fut jamais terminé.

M. Faraut voyageait au temps de la sécheresse ; dans ces mêmes plaines où quelques mois auparavant nous avions eu de l’eau jusqu’à la ceinture, il était obligé de faire porter à ses éléphans la provision de liquide nécessaire à sa propre consommation. S’enfonçant ensuite vers le nord, sur les plateaux escarpés qui limitent la région des lacs et des marais, il gagna la province de Suren, où il rencontra des groupes de belles préasats en briques dans un remarquable état de conservation. Il revint ensuite dans les régions basses. Il vit les débris de Préasat-En et les immenses édifices de Penroe, si profondément enfouis dans les sables que les crêtes de leurs galeries et les sommets de leurs tours pointent seuls au-dessus du sol. Regagnant alors Angcor, il étudia derechef les restes de Leley, de Preacon, de Bacong et découvrit d’autres ruines inconnues. Enfin, quoique épuisé par la fatigue et atteint de la fièvre pour la seconde fois, il voulut visiter Préa-Roup (la Divine statue), monument de premier ordre que nous avions dû laisser de côté lors de notre passage. Le couteau en main, il se fraya péniblement une route dans le fourré, et, après avoir gravi trois étages de constructions, il se trouva sur un superbe soubassement couronné de soixante-douze lions et dominé par une tour dépassant peut-être en hauteur tous les autres édifices du Cambodge. En s’aidant de lianes grimpantes, il parvint à se hisser jusqu’à la cime de cette préasat. La perspective qui d’en haut s’offrit à ses yeux était d’une grandeur épique. À ses pieds s’étendait toute cette vaste plaine lacustre, peuplée jadis