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à son tour, a cru devoir démontrer dans son discours comment la monarchie constitutionnelle propre à l’Angleterre ne pouvait être qu’un anachronisme dans un pays comme la France, — comment aussi M. Thiers, après avoir eu cette fascination de jeunesse, avait fini par ouvrir les yeux à la lumière de la république. Cet honnête et sérieux esprit nous permettra de croire que ce n’était pas le lieu de se livrer à ces douteuses théories devant le tombeau de M. Thiers, et ce n’était pas non plus très diplomatique, car si la monarchie constitutionnelle n’est possible qu’en Angleterre, qu’est-elle donc en Belgique, en Italie, en Hollande, dans tous ces pays qui n’ont pas plus d’élémens aristocratiques que la France, et dont les représentans pouvaient écouter l’autre jour M. Jules Grévy ? Ce n’était vraiment pas la peine d’aller reprendre pour cette triste occasion un vieux discours que M. Grévy a déjà fait, ou à peu près, en 1848.

Tout cela démontre le danger de ces manifestations de parti en présence d’une grande mémoire. M. Thiers avait accepté la république, sans se sentir illuminé de toutes ces lumières dont parle M. Jules Grévy, sans rien abdiquer de son passé constitutionnel, lui qui répétait souvent qu’il était un vieux monarchiste, et qui dans la dernière assemblée de Versailles disait encore : « Je trouve qu’on est libre, noblement, grandement libre à Washington, et qu’on y fait de très grandes choses ; mais je trouve aussi qu’on est également libre à Londres et, qu’on me permette de le dire, plus libre peut-être qu’à Washington. » C’est ainsi qu’il parlait. Oui sans doute, M. Thiers s’est rallié à la république, moins parce qu’il la préférait à la monarchie constitutionnelle que parce qu’il la voyait seule possible, parce qu’il avait au suprême degré, selon la juste remarque de M. Jules Simon, le sens du possible pour la vérité et pour la patrie ; mais cette république, dans sa pensée, elle n’était durable, viable, que si elle respectait les traditions, les intérêts nationaux, si elle ne se mettait pas à tout bouleverser, si elle était, en un mot, profondément conservatrice. Il le répétait quelques jours encore avant sa mort à Saint-Germain. Il ne faut pas séparer toutes ces parties d’une politique. C’est l’héritage indissoluble de ce sage et patriotique esprit. Si les républicains acceptent cet héritage dans toute son intégrité, avec la résolution de se conformer en tout à cette pensée de souveraine prudence, ils ont le droit d’invoquer la mémoire de l’ancien président. Si de l’héritage ils n’acceptent que ce qui leur plaît, l’adhésion des dernières années à la république, en se réservant d’oublier le reste, ils sont libres, mais ils n’ont plus le droit de se servir de ce grand nom. Pour tous ceux qui ont été accoutumés à respecter M. Thiers vivant, qui le respectent dans la mort, ils ne font point deux parts dans cette destinée, ils ne séparent point toutes ces choses qui se complétaient dans la politique de l’ancien président. Ils acceptent l’héritage de cette politique qui tendait à faire la république avec les garanties