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où on les mettrait à mort. Les uns voulaient, tournant à gauche, prendre le bas de la rue Haxo et aller les tuer à la porte du Pré-Saint-Gervais, ; les autres, demandant à continuer la rue de Paris, proposaient la place des Trois-Communes et la porte de Romainville comme un bon endroit, bien choisi pour les exécutions. On se disputait sans pouvoir se mettre d’accord lorsqu’une voix criât : « Allons au secteur ! » Ce nouvel avis fut immédiatement adopté, et la tourbe, obliquant à droite, entraîna les malheureux avec elle.

Pendant le siège, l’état-major du IIe secteur avait été installé dans quelques petites maisons construites près d’un terrain, mi-jardin, mi-potager et qui formaient ce que l’on appelait la cité de Vincennes. Ce lieu sinistre existe encore et porte aujourd’hui le no 83 de la rue Haxo. Les officiers avaient conservé l’habitude de s’y réunir ; il y avait un dépôt d’armes et de munitions. À l’heure où les otages en approchaient, le secteur était rempli de fédérés harassés de la lutte et demandant que l’on y mît fin. Parmi eux se trouvait un jeune homme de vingt ans qui assista au massacre et en conçut une telle horreur qu’il se sauva, après avoir brisé son fusil, pour ne plus servir une cause capable de tels forfaits. Le soir même, il écrivit le récit de ce qu’il avait vu ; c’est ce récit, empreint d’une sincérité terrible, que nous suivrons pas à pas. Hippolyte Parent, dernier commandant en chef de l’insurrection, avait établi son quartier général au secteur ; Varlin, Latappy, Humbert, étaient près de lui ; Oudet, blessé, avait été déposé dans une chambre ; on disait qu’Eudes et Bergeret venaient de quitter leur travestissement militaire et avaient pris la fuite ; Jourde, après avoir mis 7,000 ou 8,000 francs dans sa poche et avoir laissé à un nommé Guilmois de quoi faire la paie aux sous-officiers qui combattaient encore, avait disparu à son tour. Les gens qui étaient là étaient irrités, inquiets, très hésitans ; ils accusaient les membres de la commune de les avoir trahis et se demandaient s’il ne convenait pas de les fusiller. On entendit tout à coup une immense clameur : c’était la foule qui arrivait, entraînant les otages avec elle ; elle se précipita dans la longue allée bordée de maisons qui formait la cité proprement dite. Quand les otages furent entrés, on ferma une mince barrière en bois ; elle fut immédiatement brisée par les gens qui « voulaient voir. » Des cris de mort retentissaient. Un homme fut très énergique et essaya de défendre ces malheureux. On a dit que cet homme était Hippolyte Parent ; non, non, c’est une erreur, cet homme fut Varlin. Membre de la commune, blessé d’avoir vu le comité central ressaisir le pouvoir. — quel pouvoir ! — après la mort de Delescluze, désespéré de reconnaître que la cause pour laquelle il s’était perdu, allait s’effondrer à jamais dans l’abîme qu’elle se creusait volontairement, il s’était jeté devant les otages, comme pour les