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jusqu’au mur de la maison d’éducation correctionnelle ; une femme brisa la tête de Mgr Surat d’un coup de pistolet, MM. Bécourt. et Houillon furent fusillés. Chaulieu s’était esquivé, il fuyait à toutes jambes par la rue Servan ; on se lança derrière lui ; se sentant sur le point d’être saisi, il fit volte-face contre les hommes qui le poursuivaient, enleva le sabre de l’un d’eux et en balafra trois ou quatre ; un coup de crosse l’abattit, deux coups de feu l’achevèrent.

Quelques-uns de ces malheureux, M. de Marsy, M. Evrard furent recueillis sur leur route et purent échapper à tout péril ; d’autres, MM. Perny, Petit, deux prêtres de Picpus, M. Grard, séminariste, après avoir tourbillonné au hasard, à travers les rues balayées par les balles et les paquets de mitraille, sentant la mort partout autour d’eux, revinrent isolément à la Grande-Roquette, comprenant que c’était là encore l’asile le moins dangereux. Un retour des fédérés, une invasion de la maison étaient à craindre ; mais ce n’était qu’un péril possible en présence d’un péril certain. Le pharmacien de la maison, M. Trencart, reçut ces hommes, qui ne savaient plus que devenir ; il les conduisit à l’infirmerie, les installa comme malades, avec la connivence des infirmiers, leur fabriqua de faux bulletins et leur dit d’avoir confiance, car il répondait d’eux. Parmi les otages sortis de la Roquette dans les circonstances que nous venons de raconter, il en est deux qui échappèrent miraculeusement à la mort, MM. Chevriaux et Rabut. Celui-ci, que sa barbe longue et ses vêtemens détériorés rendaient heureusement méconnaissable, avait quitté ses compagnons rue de la Vacquerie. Rue Saint-Maur il est arrêté près d’une barricade par des fédérés qui encombraient la boutique d’un marchand de vin. « Où vas-tu ? — Je suis un pauvre galérien ; je me sauve de la Roquette ; laissez-moi passer. » Les hommes hésitaient, et déjà l’un d’eux s’approchait trop vivement du fugitif, lorsqu’une femme cria : « Je le reconnais, c’est un bon, ne lui faites rien ! » — Allons ! file ! — M. Rabut reprit sa course. Plus loin, deux fédérés gardaient une barricade ; pendant qu’ils avaient le dos tourné, M. Rabut escalade les pavés et allonge le pas ; deux balles sifflant à ses oreilles lui apprennent qu’il doit se hâter. Il venait de passer devant le grand café de Bataklan, lorsqu’il s’entend héler : « Eh ! l’homme, où courez-vous donc ? » Il s’arrêta se disant : Cette fois, c’en est fait de moi ; il se retourna et, en bon commissaire de police qu’il était, au lieu de regarder son interlocuteur au visage, il le regarda aux jambes et vit un pantalon rouge. Il avait été interpellé par un sous-lieutenant de la ligne qui le fit conduire sous escorte à l’Assistance publique, où son identité fut immédiatement certifiée. En se faisant passer pour un galérien évadé, il avait