Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elles n’ont rien de philanthropique, elles ne se proposent point de venir en aide aux malades, aux nécessiteux, aux infirmes ; c’est un rôle qu’elles laissent aux sociétés de secours mutuels et aux œuvres charitables : elles ont pour unique objet l’élévation des salaires, et pour moyen d’action, également unique, l’organisation des grèves.

Les trades-unions américaines renchérissent sur les associations anglaises pour le caractère oppressif de leurs règlemens, pour la rigidité avec laquelle elles les appliquent, pour l’étendue des engagemens qu’elles imposent à leurs membres sous la foi du serment. Entrer dans une de ces sociétés, c’est abdiquer d’une façon absolue son initiative et son libre arbitre ; c’est s’obliger sous serment à exécuter sur l’heure tout ordre, quel qu’il soit, d’un comité souverain et offrir sa vie comme gage de son obéissance. D’un autre côté, comment refuser d’y entrer lorsque le refus est puni de la proscription ? Comme le but à atteindre est de contraindre le manufacturier ou l’entrepreneur à subir les conditions de l’association en le mettant dans l’impossibilité de remplacer les ouvriers qui le quittent, et d’opposer ainsi le monopole de la main-d’œuvre au prétendu monopole des salaires, tout ouvrier qui a conservé la libre disposition de son travail et qui pourrait prendre la place d’un gréviste est un ennemi public. Il y a donc interdiction absolue pour les membres de l’association de travailler à côté d’un ouvrier libre ; ils doivent en obtenir le renvoi ou se mettre immédiatement en grève. Une autre règle non moins odieuse est l’interdiction de former aucun apprenti.

Le moyen le plus efficace d’amener une augmentation des salaires est de raréfier la main-d’œuvre, et ce dernier résultat ne peut être obtenu plus sûrement qu’en arrêtant le recrutement d’une profession. Aussi n’y a-t-il point de règle à l’observation de laquelle les comités directeurs tiennent plus rigoureusement la main. Le père lui-même n’ose pas enseigner son métier à son fils, et un manufacturier qui, par bienveillance ou charité, admettrait un enfant dans ses ateliers verrait immédiatement une grève se produire pour exiger le renvoi de cet enfant. Les autorités municipales des grandes villes commencent même à se préoccuper des effets de cette interdiction, à cause du nombre considérable d’enfans et d’adultes sans moyens d’existence et sans profession qu’elles ont à surveiller. Les enfans de la plupart des ouvriers se trouvent sans état et n’ont d’autre ressource que les métiers irréguliers ou peu avouables.

Ce n’est là qu’une des nombreuses objections que les esprits réfléchis commencent à élever contre le despotisme de ces associations, qui ont tous les vices et tous les dangers des monopoles. La