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l’on agît : ils ne s’y résignèrent point. Ils demandèrent et obtinrent des autres sections de l’Union des chemins de fer que la grève fût avancée et fixée au 16 juillet, date à laquelle les agens de toutes les compagnies se trouveraient atteints par la même réduction. Seul, le comité exécutif des mécaniciens refusa son concours en déclarant qu’il ne croyait pas au succès d’une campagne entreprise avant l’automne.

L’impulsion était donnée, et ce refus n’arrêta point les organisateurs de la grève. L’Union des chemins de fer, enivrée par le rapide développement qu’elle avait pris, avait hâte de faire l’épreuve de ses forces. Toutes les loges se montraient pleines d’ardeur : les agens de la ligne de Pittsburg, Pan-Handle et le Fort-Wayne, de la ligne du Michigan méridional, et de la ligne riveraine des lacs (Lake shore Railroad), avaient assuré les agens des grands réseaux de leur coopération. Les agens du réseau Ohio et Mississipi avaient fait savoir qu’ils seraient prêts aussitôt que la compagnie aurait terminé la paie mensuelle, c’est-à-dire pour le 21 juillet ou le 23 au plus tard. On était donc assuré de pouvoir arrêter, en deux ou trois jours au plus, tout le mouvement commercial de dix ou douze états, sur un territoire triple de celui de la France. Le succès parut certain ; l’ouverture de la grève demeura fixée au 16 juillet, et les instructions furent partout envoyées dans ce sens. Le plus profond mystère avait couvert les démarches et les délibérations des loges : le secret des résolutions prises fut gardé avec une discrétion merveilleuse. Un incident qui aurait pu mettre les compagnies en éveil passa inaperçu. Le 30 juin, l’un des organisateurs de l’Union des chemins de fer, Barney Donahue, se présenta avec quelques autres délégués des chauffeurs et des gardes-freins de l’Erié chez le directeur de l’exploitation, dans le but de réclamer contre la réduction annoncée pour le 15 juillet. La réclamation fut repoussée. Prenant alors la parole, Donahue déclara, en présence de l’ingénieur en chef, qu’une grève était inévitable, et que, si la compagnie poussait les agens à bout par son obstination, les voies seraient détruites et Les gares incendiées. Cette menace, considérée comme une vaine fanfaronnade, ne fut pas prise au sérieux : avant qu’un mois se fût écoulé, des propriétés d’une valeur de 200 millions avaient été détruites par les flammes.

On vient de voir comment la grève des chemins de fer fut préparée et organisée ; il nous reste à en raconter les incidens, et à montrer comment l’intervention de l’Internationale lui fit prendre un développement inattendu et en changea le caractère.


Cucheval Clarigny.