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juridictions où l’inculpé était jugé, s’observait également pour la pénalité. En principe, le châtiment devait être plus ignominieux et plus cruel pour les coupables d’une condition réputée vile et méprisable. On semblait avoir été déjà frappé de cette observation que font deux criminalistes éminens, MM. Faustin Hélie et Chauveau Adolphe, à savoir « que la peine de mort, et cela est aussi vrai d’autres peines afflictives, perd son efficacité exemplaire, à mesure qu’elle sévit sur la classe la plus dépravée et la plus redoutable des malfaiteurs. » Partant on s’imaginait, en ajoutant à l’horreur du supplice, à la sévérité du châtiment, compenser pour l’homme adonné au crime ce que la peine perdait sur lui de puissance préventive. Celui qui avait mené une vie criminelle ou que sa condition misérable et précaire exposait à une plus grande perversité était regardé comme devant encourir davantage les rigueurs de la loi.

Cette idée s’introduisit d’autant plus facilement chez les magistrats que les classes supérieures avaient jadis pour les classes inférieures un souverain mépris. Le gouvernement regardait peu à l’existence d’un homme de rien, et il était plus préoccupé de faire respecter l’autorité que d’observer les droits de l’humanité. Le gentilhomme, même criminel, inspirait un reste de considération : il en était de son supplice comme de celui du prêtre convaincu de quelque odieux attentat ; on le considérait presque comme une atteinte au respect que le caractère de ce coupable devait inspirer. Voilà pourquoi on exigea généralement qu’une dégradation solennelle précédât l’exécution du gentilhomme et celle du prêtre ; elle avait pour effet de les retrancher de l’ordre, de la caste à laquelle ils appartenaient et de les ramener à la condition commune. Quand en Espagne, en 1621, on exécuta don Rodrigue Calderon, ancien favori du duc de Lerme, le bourreau, avant de s’acquitter de son sanglant ministère, lui demanda pardon. Calderon l’embrassa et le baisa deux fois au visage. L’exécuteur avait une sorte de honte de porter la main sur un homme appartenant à la noble race des hidalgos. Cela rappelle que, lorsque le gouvernement de Venise fit mettre à la torture, avant de le faire décapiter, le célèbre condottiere Carmagnola, qui avait naguère glorieusement servi la cité de Saint-Marc, le bourreau n’osa pas toucher à un bras qui avait sauvé la république et lui fit brûler la plante des pieds. On en agissait effectivement dans l’application de la question comme, depuis la fin du XIVe siècle, on en agit pour les supplices. Quoiqu’en France des hommes de toute condition, gentilshommes comme manans, aient été mis à la torture dans des procès criminels, tandis qu’en Italie et en Espagne les nobles n’y pouvaient être appliqués, sauf les cas de crimes énormes et infamans, on était chez nous dans l’usage, à ce que fait remarquer le jurisconsulte Jousse, de ne pas condamner aussi facilement