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pareillement percée avec un fer chaud avant d’être décapité. Au temps où la foi n’avait rien perdu de sa primitive vivacité, on rencontre des pénalités aussi cruelles contre les blasphémateurs dans toute l’Europe, notamment en Espagne, à Naples, en Allemagne, dans les Pays-Bas.

La religion était donc protégée par une législation pénale aussi sévère, aussi cruelle que celle qui protégeait l’autorité souveraine. Cette législation n’empêcha pas cependant au XVIe siècle l’hérésie de faire des prosélytes, de gagner les esprits, et au XVIIIe l’incrédulité d’éteindre la foi dans les âmes. Les mesures violentes peuvent momentanément effrayer, refréner les manifestations de l’opinion, elles ne sauraient la détruire, quand cette opinion a des racines vivaces ou profondes. L’opinion se cache pour un temps ; elle n’en vit pas moins, elle se propage d’une manière souterraine, elle s’ingénie en mille moyens pour échapper aux poursuites, et il arrive un jour qu’elle s’empare du pouvoir ou le force de compter avec elle, parce que les défenses qui le protégeaient, quoique debout et solides en apparence, ont été minées et sont incapables de résister à quelque grand choc.


III

Sous l’ancienne monarchie, l’autorité judiciaire avait toute latitude pour réprimer les diverses sortes d’attentats et de délits. La loi ne lui dictait pas aussi strictement qu’elle le fait aujourd’hui la peine à infliger ; c’était seulement la coutume qui avait consacré la plupart des peines que le juge prononçait. Les légistes, en compilant ces coutumes et y associant des données prises dans le Code théodosien et le Digeste, avaient composé des manuels, des traités destinés à guider le magistrat pour le choix du châtiment qu’ordonnait la sentence ; mais en fait, depuis que la justice royale s’était substituée presque partout à l’ancien mode de jugement par les pairs, l’arbitraire des peines que consacrait le droit romain sous les empereurs était le principe accepté, et de même que la sévérité du châtiment prononcé dépendait entièrement de la volonté du sénat ou du caprice du prince, sous la monarchie absolue elle dépendait du magistrat qui représentait le roi. Au XVIe siècle, un criminaliste fort estimé de son temps, Imbert, écrivait dans sa Pratique judiciaire : « Aujourd’hui les peines sont arbitraires en ce royaume, » et son commentateur, Bernard Automne, ajoute au siècle suivant : « Lorsqu’une peine est arbitraire et laissée à déclarer à l’office du juge, celui-ci peut condamner le criminel à mort. » Donc toute latitude était laissée en fait au tribunal ; quelle que fût la nature du crime ou du délit, si le juge estimait qu’il méritât un châtiment des plus rigoureux et tout à fait exemplaire, il pouvait envoyer le coupable