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au supplice. Les ordonnances royales, il est vrai, édictèrent certaines peines, certaines punitions pour des délits et des crimes déterminés, et restreignirent ainsi la liberté laissée au magistrat ; mais outre que le tribunal, en vertu du principe de l’arbitraire de la peine, pouvait toujours tourner la loi, ces ordonnances ont été rarement assez catégoriques pour enchaîner absolument la décision du juge dans le choix de la peine. Aussi Jousse, au XVIIIe siècle, présente-t-il encore les peines comme étant arbitraires ; seulement il n’avance pas, comme Imbert, qu’elles le sont toutes, il dit presque toutes. Cet arbitraire de la peine avait sa véritable source dans la législation barbare qui subsistait en partie à l’époque féodale. La peine devait varier originairement pour un même crime parce qu’elle dépendait entièrement de la demande de la partie qui poursuivait la réparation de l’offense ; c’était celle-ci qui indiquait le genre de châtiment qu’elle réclamait pour sa vengeance. Les juges pouvaient toutefois en ordonner une moindre et ne faire droit que partiellement à la demande. Pareil système a existé chez divers peuples de l’antiquité, à Athènes notamment.

On le voit, il n’y avait point en France, sous l’ancien régime, de droit pénal proprement dit : il n’existait qu’une procédure criminelle ; les peines n’avaient point été réglées et rigoureusement déterminées par la loi. Sous ce rapport, selon la remarque de M. A. Du Boys, la France était avant 1790 fort en arrière de l’Allemagne, où dès le commencement du XVIe siècle la célèbre ordonnance de Charles-Quint, dite la Caroline, avait établi un corps de pénalité. Chez nous on avait fini par admettre que la justice étant rendue par des juges qui représentaient le roi, ils devaient avoir le droit d’instituer et d’appliquer les peines de leur propre autorité. On se borna à restreindre quelque peu cette autorité, à limiter çà et là l’arbitraire du juge, mais il n’en demeurait pas moins le fondement du système pénal. Or une telle doctrine était absolument contraire à l’établissement raisonné et équitable de la pénalité. En effet, si le législateur ne veut pas se perdre dans des définitions abstraites et des principes généraux trop vagues pour servir de base à la distinction des diverses catégories de crimes et de délits, c’est par la nature des peines édictées qu’il classe ces crimes et ces délits, et du moment que les peines sont abandonnées au caprice du juge, il n’y a plus de classification possible, toute systématisation précise de la pénalité disparaît.

Si l’arbitraire des peines présentait de graves inconvéniens, s’il donnait la faculté d’accroître outre mesure les rigueurs que méritait le coupable, il avait en revanche l’avantage de permettre dans la pratique un adoucissement à la sévérité de la coutume ou de la loi.