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beaucoup diverti, écrit l’avocat Barbier à propos d’une exécution, il est vrai, moins hideuse que celle de Damiens. Ces instrumens de torture et de mort qu’en certaines villes on tenait exposés en permanence sur la place où avaient lieu les exécutions, ces têtes de suppliciés qu’on mettait sur des pieux à l’entrée des villes ou sur les ponts, ces fourches patibulaires, ces gibets où on laissait pourrir le corps du pendu, épouvantaient ; moins les imaginations qu’ils n’endurcissaient les cœurs. L’on peut dire des supplices infligés en public et avec bien plus de raison encore ce que disent les motifs de la loi du 28 avril 1832 de l’exposition publique, ils dépravent au lieu d’effrayer !

L’âme du malfaiteur, en s’endurcissant, devenait plus indifférente au forfait qu’il commettait ; comme l’a remarqué le célèbre publiciste anglais Bentham, il s’accoutumait au sort qui l’attendait, qui le menaçait. Il regardait les actes les plus effroyables de barbarie comme n’étant que des représailles contre une société dont il ne pouvait attendre nul merci. Son corps même s’endurcissait comme son âme, et il finissait par endurer moins de souffrance dans les horreurs de la torture que des coupables qui n’étaient pas habitués au crime, en sorte que le plus pervers était parfois moins puni par le supplice que celui qui avait simplement succombé à un moment de passion ou d’égarement.

Des témoignages que nous fournissent les écrits contemporains et les documens authentiques attestent que plusieurs scélérats supportèrent la question et les tourmens avec une énergie et une résolution remarquables, même des femmes perverties. Tel fut le cas lors des poursuites exercées contre les nombreux affidés de Cartouche. Plusieurs plaisantèrent en face de la question et de l’échafaud. Quelques criminels recouraient à des stupéfians, à des anesthésiques dont la préparation était un secret qu’ils se transmettaient afin d’échapper aux plus cruelles angoisses. Au XVIe siècle, ces procédés, qui passaient pour des sortilèges, étaient fort en usage, surtout chez ceux qu’on condamnait pour magie !


V

Malgré la pénalité terrible adoptée par nos ancêtres, il y avait encore place pour la pitié, et l’on se tromperait beaucoup si l’on supposait que le droit de clémence ne s’exerça que rarement. Les lettres de rémission de grâce, de pardon, d’abolition, de relief, que nous possédons prouvent que ce droit était pratiqué sur une assez large échelle ; mais il fut appliqué d’abord un peu au hasard, et, à l’exemple des libéralités que le roi faisait à son sacre et aux fêtes publiques, il était dispensé sans discernement. Je ne parle pas de