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L’emprisonnement à temps était rarement prononcé par les cours criminelles, cette peine étant tenue pour une simple mesure de police dont le magistrat pouvait user à l’égard de tout individu du commun qui troublait la tranquillité publique. Sous un régime où la liberté individuelle n’était nullement garantie, où il suffisait de l’ordre du roi ou d’un de ses ministres pour emprisonner n’importe qui, la simple détention temporaire ne pouvait être estimée un châtiment suffisant pour un crime ou un délit qualifié. Cependant, au moyen âge, l’amende et l’emprisonnement durant un certain temps commencèrent à remplacer l’ancienne pénalité barbare pour coups, blessures et injures ou, comme on disait, paroles vilaines. « Et selon l’ancien droict qui mehaignoit autrui, écrit Beaumanoir, on li fesoit au tel mehaigne, comme il avoit à autrui fet, c’est-à-dire poing pour poing, pié pour pié ; mais on n’use pas selon nostre coustume en tele manière, ains s’en passe par amende et par longue prison. » Par un principe de justice différent de celui qui aggravait la peine pour le serf et le vilain, et auquel avait dû conduire la nécessité, l’amende fut plus forte pour le gentilhomme que pour l’homme de poeste, le roturier. Toutefois, dans quelques provinces, par exemple en Bretagne, le noble tint longtemps l’amende pour une punition indigne de lui, et la coutume y substituait une peine corporelle, parce que amende par pécune était faite pour vile personne. La prison simple, bien que prononcée en certains cas comme peine principale, n’en garda pas moins le caractère qu’avait chez les Romains la custodia, détention purement préventive. Être uniquement privé de la liberté était d’ailleurs réputé une peine trop douce pour le criminel, et au moyen âge on y ajoutait souvent d’autres rigueurs ; le prisonnier était mis aux chaînes, au cachot, que l’on n’épargnait pas toujours aux simples prévenus. Bon nombre de ceux-ci étaient de fait condamnés à l’avance quand l’intérêt politique se trouvait en jeu, et l’arbitraire royal transformait la prévention en une condamnation pure et simple. Les lettres de cachet dispensaient d’instruction, de procédure, de sentence motivée. Ces lettres étaient fréquemment, il faut le reconnaître, une sorte de commutation de peine par anticipation qu’une famille sollicitait pour un de ses membres exposé à être traduit en justice, que réclamait un mari pour sa femme infidèle afin d’éviter le scandale d’un procès, ou que l’autorité accordait pour quelque attentat dont on redoutait le retentissement.

On abusa bien vite de ce qui avait été en divers cas un bienfait, de la faculté qui permettait de substituer la détention à une peine plus dure, plus redoutable. Les lettres de cachet signées en blanc devinrent au XVIIe et au XVIIIe siècle un odieux moyen de