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été bon de prévoir qu’on allait donner au commerce anglais un prétexte d’intervenir en Chine et d’imposer par la force non-seulement la consommation de la drogue prohibée, mais encore l’introduction des autres marchandises anglaises dans les ports où les navires européens n’étaient point admis. Le souvenir des événemens qui suivirent est dans la mémoire de tout le monde : le bombardement et l’occupation de Canton, la prise des forts de takou, les traités de Tien-tsin, la bataille de Palikao, l’entrée de l’armée anglo-française à Pékin, et enfin la signature définitive de la paix par l’empereur, réfugié en Mandchourie.

Il semblait, après des actes si solennels, que le gouvernement chinois se fût enfin résigné à supporter la présence des Européns. Les portes de la Chine, enfoncées à coups de canon, semblaient définitivement ouvertes ; mais les événemens prouvèrent qu’on n’aurait pas si promptement raison de la duplicité des mandarins. La populace du pays crie volontiers : « Mort aux diables étrangers ! » parce qu’elle a besoin partout de crier quelque chose, parce que cet anathème a une couleur patriotique et qu’il flatte la vanité chinoise ; mais sous cette écume qui bouillonne à la surface, le fond de la population est sensible surtout aux avantages qu’elle retire des relations commerciales avec les Européens ; si elle était consultée et laissée libre d’exprimer ses sentimens, elle demanderait la liberté du trafic pour tout le monde. Loin de là, l’expression de ses préférences est comprimée par le gouvernement du pays, qui redoute par-dessus tout la concurrence européenne.

Les mandarins peuvent être intègres ; mais la probité est bien difficile à des fonctionnaires privés de solde et dont la principale ressource est le pillage de leurs administrés et du trésor public. Les impôts, leur perception et leur répartition, l’administration de la justice, tout est vénal en Chine. Comment espérer que l’exemple d’administrateurs probes puisse être supporté par les fonctionnaires chinois sans déplaisir et sans résistance ! L’administration des douanes a été confiée à des employés européens ; le produit de cet impôt a considérablement augmenté entre leurs mains. Que serait-ce si l’emploi d’Européens dans les finances chinoises venait à se généraliser ? Les mandarins chinois sont d’ailleurs très entichés de leurs connaissances littéraires ; les Européens n’en ont cure. Ils n’ont pas, il est vrai, passé d’examens sur l’écriture chinoise, et leur mérite ne consiste pas en des connaissances littéraires ; ils sont ingénieurs, légistes, industriels, et dans ces professions ils montrent des capacités pratiques qui laissent bien loin en arrière le stérile talent des fonctionnaires chinois. Il existe donc entre ces derniers une coalition d’intérêts fondée sur l’envie et la cupidité.

Les mandarins s’efforcent d’ajourner au moins l’admission de