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rivaux plus habiles. Aussi voit-on cette politique recourir à tous les moyens pour éluder les traités. Ils n’en négligent aucun, emploient alternativement la ruse et la violence, ne reculent pas devant l’assassinat, ainsi qu’ils l’ont prouvé dernièrement à Tien-tsin, et leur hypocrisie est si profonde, leur diplomatie mensongère a l’apparence si innocente, qu’ils ont réussi non-seulement à se faire pardonner leurs méfaits, mais encore à capter la compassion et le bon vouloir des gouvernemens, comme à tromper le public, qui n’est pas éloigné de prendre parti pour les « pauvres Chinois. » Des savans fantaisistes s’accordent à représenter la Chine comme persécutée par les « barbares européens. » C’est ainsi que l’administration de Pékin réussit à reculer chaque jour davantage le moment où le gouvernement chinois devra compter sérieusement avec l’Europe et se résigner à l’exécution sincère et loyale des traités en vertu desquels les Européens doivent être admis à circuler et à commercer librement dans l’empire. Si ce moment n’est pas encore prochain, il n’importe pas moins de ménager d’avance notre place au soleil de ce commerce chinois qui rayonne déjà dans toute l’Europe et contribue à l’enrichir. Malgré la gêne et les restrictions, les échanges entre l’Europe et la Chine sont évalués à 1,500 millions. Les exportations de Chine n’atteignent pas la moitié de cette somme, et la différence que la Chine doit solder en espèces est de plus de 200 millions. Était-il possible de s’isoler d’un mouvement si considérable ? Nos gouverneurs de la Cochinchine pouvaient-ils renfermer leur action dans l’intérieur de cette colonie ? Le voisinage et les relations anciennement établies entre les états de Tu-Duc et ceux du Fils du Ciel eussent suffi pour solliciter leur attention et dicter leur conduite. Jusqu’à présent, l’Angleterre tient le haut du pavé dans ce concours des commerçans de toute nation qui se pressent aux portes de la Chine. Malgré des bénéfices énormes, sa part ne lui semble pas encore assez grande. Elle profite du voisinage de l’Inde britannique et de ses conquêtes en Birmanie pour essayer par les routes de terre de s’ouvrir un nouveau chemin dans les provinces occidentales de l’empire. Des officiers anglais y ont été envoyés, nous l’avons dit, et, s’il est possible de construire un chemin de fer entre la province de Yunan et la haute Birmanie à l’endroit où le fleuve Irawaddi cesse d’être navigable, ce chemin de fer étant d’ailleurs peu dispendieux, puisqu’il n’aurait qu’une quarantaine de lieues, l’Europe pourra voir de nouveau les marchandises chinoises lui parvenir par terre, et l’initiative anglaise attaquera la frontière commerciale par une voie que les traités n’ont pas prévue. Pouvions-nous assister impassibles à ces efforts ?

Quant à nous, dans cette lutte pacifique, nous avons à notre actif la découverte du parcours de la grande rivière Song-koï.