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peintre, il se trouve le plus communément que ces portraits sont des caricatures. En vertu de la tradition séculaire qui veut que l’insouciance et la frivolité forment le fonds de notre caractère, les Français, et surtout les Françaises telles qu’on les décrit de l’autre côté du détroit, sont les êtres les plus évaporés de la création. Institutrices ou grandes dames, figures principales ou secondaires, nos compatriotes se ressemblent toutes sur ce point. Elles passent leurs journées à faire le compte de leurs amoureux, à se regarder dans le miroir, à se farder, à fredonner des refrains qui ont pu jouir d’une certaine vogue il y a quelque cinquante ans, mais qui sont assez oubliés aujourd’hui, et quand une pensée désagréable ou triste monte à leur étroit cerveau, elles la chassent aussitôt d’un geste mutin en s’écriant : vive la bagatelle ! ce qui, paraît-il, est une exclamation généralement usitée en pareil cas sur toute l’étendue du territoire français. Est-il besoin de dire que M. William Black ne s’est pas laissé guider par cet idéal de convention ? Miss Cassilis n’a point vécu dix-huit années en Touraine sans y prendre le goût du soleil et des clairs horizons, mais elle a gardé les qualités sérieuses de la race dont elle est sortie, et ce n’est pas de nostalgie qu’elle est destinée à mourir. Elle est bien un peu dépaysée quand elle débarque ira beau soir au presbytère d’Airlie. Il faut avouer qu’on le serait à moins. Les habitans de la manse, c’est le nom qu’on donne en Écosse à l’habitation du pasteur, appartiennent à une espèce de civilisation assez différente de celle que la jeune fille vient de quitter. Le ministre, son oncle, est un grave ecclésiastique tout occupé du soin de sa paroisse, de la composition de ses sermons, et qui donne au gouvernement de ses fils le reste de son temps. Ceux-ci sont au nombre de cinq ; c’est l’aîné qui est le héros du livre. Tom Cassilis, plus connu dans la famille et chez les voisins sous le sobriquet du Courlis, a dix-huit ans, de longues jambes, des poignets solides, une âme audacieuse et des goûts de gamin. A la tête de ses jeunes frères, qu’il a disciplinés et transformés en maraudeurs, il fait la terreur de la paroisse. Pour le corriger, on l’a envoyé passer un hiver à l’université de Glascow : il en est revenu pire qu’auparavant. Au moment où l’auteur nous le présente, il est en train de défendre avec ses frères, suivant les procédés employés à Jérusalem d’après l’historien Josèphe, le jardin du presbytère, qu’assiègent les écoliers du village, en révolte contre l’oppression des fils du pasteur, et il fait pleuvoir sur ses adversaires le gravier, les pierres et les injures. C’est dans cette position qu’il est surpris par son père.

« Il se fit tout à coup un silence d’effroi derrière les murs, et les plus jeunes assiégés disparurent rapidement. Un homme aux cheveux gris, au visage austère, vêtu d’un habit noir tirant sur le roux, s’avançait calme à travers les allées, ayant, mauvais présage,