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un fouet à la main. Le héros de la journée était encore debout sur ses tonneaux vides et provoquait l’ennemi, tout en se fournissant des munitions empilées pour la défense. — Le voyez-vous maintenant avec ses longues jambes, le fils du ministre ? Les voyez-vous maintenant, les petits poulets du ministre ? Allez donc vous laver le nez dans le ruisseau. — Au même instant, le Courlis poussa un cri aigu. Il ne s’était pas attendu à être attaqué par derrière, et autant d’épouvante que de douleur se mêlait au gémissement qui suivit le coup de fouet dont ses jambes avaient été cinglées. Dans le fait, la petite lanière qui s’enroulait autour de ses mollets avait à la fois quelque chose de mystérieux et de terrible, et quand il eut sauté, ou plutôt roulé à bas de son tonneau, ce fut pour se trouver face à face avec son père, dont les yeux menaçans et la voix irritée lui expliquèrent bientôt tout le mystère. — Comment osez-vous, monsieur, comment osez-vous faire de ma maison un Bedlam ? Quand j’avais votre âge, monsieur, j’étais plus occupé de mon testament grec que de lancer des injures à la tête de malheureux petits drôles ! — C’était plus que des injures, ainsi que vous pourriez vous en assurer en regardant leurs nez, répondit le Courlis d’un ton confidentiel. »

Le soir de ce jour mémorable, l’incorrigible garçon voit arriver sa cousine, sans se douter qu’avec elle un maître entre dans la maison qui n’aura pas besoin de cravache pour se faire obéir. Coquette Cassilis, seule contre tous dans le presbytère, va conquérir les cœurs par sa gentillesse et par sa grâce. Avec son anglais incorrect où viennent naïvement s’égarer certaines expressions plus pittoresques que classiques qu’elle doit à son père, avec son teint pâle, ses cheveux en désordre, ses yeux noirs et son costume élégant, car elle est riche, elle devient d’abord pour tout le monde un sujet de profond étonnement.

Elle commence, à la française, par se jeter au cou de son oncle, ce qui ne laisse pas d’embarrasser un peu le digne homme, qui n’a pas été habitué à de semblables démonstrations. Quant au Courlis, fasciné par les manières surprenantes de l’étrangère, il a conclu en lui-même que c’est une sorcière ou à tout le moins une actrice. Telle est aussi l’opinion du jardinier Andrew, puritain endurci qui argumente avec son maître, n’obéit à personne en matières spirituelles et se regarde au milieu du presbytère comme une vivante protestation contre la théologie érastienne et modérée professée par le ministre. On devine avec quel enthousiasme ce descendant des caméroniens a salué l’arrivée de la nièce du pasteur. En l’entendant parler français ; il s’est tout de suite convaincu qu’on ne pouvait pas s’exprimer autrement à Sodome et à Gomorrhe, et en voyant s’agiter les plis de sa robe de soie il n’a pu s’empêcher de songer à