Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier de la file, — coulies portant toutes les curiosités d’un camp indien, — caisses avec l’étiquette de Agra Ice Company suspendues à des tiges de bambous, — valets avec des lévriers et des faucons encapuchonnés, — vieilles femmes sur des poneys, — jeunes femmes en culottes, — indigènes sans vêtemens sur le corps avec d’innombrables plis de calicot sur la tête, — cipayes escortant des éléphans et des chameaux ou simplement s’escortant eux-mêmes, — bouteilles de sodawater, — articles intimes qui rappellent une excellente histoire de Jacquemont, — paniers remplis de flacons qui reluisent au soleil avec le nom honoré de « Château-Margaux » inscrit sur leurs flancs menteurs, — puis un troupeau de chèvres et de moutons, — ensuite, sur un éléphant orné d’un poteau rouge avec l’inscription de Post-Office, quelques bipèdes qui personnifient ce département, — ou bien un guépard, la tête couverte, ronronnant dans son chariot, comme un grand chat, entre ses deux gardiens qui lui grattent la tête, — tel était le tableau qui se déroulait dans la jongle pendant des milles entiers. »

Ces marches s’accomplissaient sinon sur des routes régulières, du moins en suivant des tracés qui évitaient fourrés et fondrières dans la mesure du possible. Quant aux chasseurs, ils s’avançaient droit devant eux, recherchant même de préférence les prairies, dont l’herbe, fine et serrée, atteignait à la hauteur des baldaquins, et les marécages où les éléphans s’enfonçaient parfois jusqu’au poitrail. Le gibier abondait sur leurs pas ; mais c’est à peine s’ils se retournaient pour brûler leur poudre aux antilopes, aux loups, aux chacals, aux lièvres, aux aigles, aux paons, aux perdreaux et aux autres menus habitans de ces fourrés tropicaux. Les sangliers, qui leur parurent un gibier plus digne de leurs coups, sont ici fort courageux et même assez redoutables. Dans une des premières battues, un de ces animaux chargea la ligne des éléphans avec une telle furie qu’il la mit en pleine déroute et put s’échapper à la faveur du désordre. Un autre, d’après un rapport officiel, aurait massacré huit personnes en deux nuits consécutives. Les panthères et les léopards fournirent également leur part dans le butin de l’expédition. Il ne faut pas non plus oublier un boa constrictor, de 5m,50, qui fut découvert et saisi dans une sorte de terrier. Quant aux tigres, qui formaient en somme le principal objectif de la campagne, le prince n’en tua pas un seul, au grand désespoir du général Ramsay, pendant ses douze jours d’exploration sur le Terai britannique, soit qu’ils y eussent fortement diminué à la suite des chasses antérieures, soit plutôt que la saison ne fût pas encore assez avancée.

Il est vrai qu’on put se dédommager sur le territoire du Népaul. C’est le 19 février que le prince se rencontra sur la frontière avec sir Jung Bahadour accompagné de sept cents éléphans. Le 21, il