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le sérail et ses détours est excusable d’avoir cru que les Osmanlis étaient un peuple fini. Depuis les derniers événemens, il s’est fait un retour en leur faveur dans l’opinion européenne. On ne peut marchander ses sympathies à de braves gens qu’on attaque et qui se défendent en hommes de cœur ; mais l’Europe tout entière tient pour constant qu’au moment où le sang coule sur les champs de bataille, il y a à Stamboul une camarilla occupée de funestes intrigues et de tendre ses filets pour s’engraisser du malheur public.

Français, Anglais, Autrichien, Prussien, quiconque a voyagé dans l’empire du croissant, en revient ou philottoman ou Turcophobe, selon qu’il a pratiqué davantage les gouvernans ou les gouvernés. Parmi les livres publiés cette année sur la Turquie, il en est deux fort intéressans. L’un est d’un Anglais, le lieutenant-colonel James Baker, qui, après s’être promené dans la Roumélie et dans la Macédoine, est devenu propriétaire dans le district de Salonique. L’autre, intitulé la Turquie moderne peinte par un Osmanli, a été écrit, croyons-nous, par un docteur allemand, fixé à Stamboul et qui ne paraît pas en être sorti[1]. M. Baker a beaucoup pratiqué le paysan Turc, il est devenu philottoman et ne s’en cache point. Le prétendu Osmanli, d’origine germanique, a vu beaucoup de pachas, et il incline à la Turcophobie ; mais comme ces deux écrivains sont l’un et l’autre des hommes de sens et de réflexion, ils s’accordent sur plus d’un point. Le lieutenant-colonel anglais estime que l’administration turque laisse infiniment à désirer, et l’anonyme allemand déclare qu’on serait fort injuste envers le peuple turc si on le jugeait sur l’immense majorité de ceux qui l’administrent ou le gouvernent.

M. Baker ne se repent point d’avoir acquis dans le district de Salonique une terre considérable qui paraît être de bon rapport ; il y a appris à se défier des Turcophobes, de leurs hyperboles, des nouvelles à sensation dont ils remplissent leurs brochures et leurs journaux. Il lui est arrivé l’an dernier de lire dans certaines feuilles que le vilayet de Salonique était inhabitable, que la propriété n’y était pas sûre, que l’anarchie y régnait, que les infortunés chrétiens étaient dépouilles sans miséricorde de leurs derniers sous pour contribuer aux dépenses de la guerre de Serbie, et il s’est demandé s’il était éveillé ou s’il rêvait. — « Ma terre, nous dit-il, est entourée de villages Turcs et chrétiens, je connais beaucoup de mes voisins des deux religions, et je puis assurer qu’ils commercent paisiblement ensemble. La vie et la propriété sont tellement en sûreté que mon intendant écossais, établi sur les lieux avec sa femme et ses enfans, ne se donne pas même la peine de fermer au

  1. Turkey in Europe, by James Baker, Londres, 1877. — Stambul und das moderne Türkenthum, von einem Osmanen, Leipzig, 1877.