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tous de la gare en les menaçant de mort s’ils essayaient d’y rentrer. Des émissaires furent dépêchés dans toutes les directions pour prescrire de cesser partout le service, des sentinelles furent placées aux deux extrémités de la gare pour arrêter tous les trains au passage, et le reste des grévistes se répandit dans les tavernes pour célébrer ce premier succès.

Impuissans à lutter contre cette révolte et à faire partir aucun train, les agens de la compagnie s’adressèrent par le télégraphe à M. Matthews, gouverneur de la Virginie occidentale, dans laquelle Martinsburg est situé, et réclamèrent assistance. Le gouverneur n’avait aucune force à sa disposition, la législature de l’état ayant refusé en 1875 de voter des fonds pour l’organisation de la milice : il n’existait dans tout l’état qu’une compagnie de volontaires qui ne comptait pas cent hommes. Le gouverneur la fit réunir, et l’envoya à Martinsburg avec un de ses aides-de-camp. Celui-ci reconnut aussitôt qu’il n’y avait rien à faire avec une troupe aussi faible, qui paraissait d’ailleurs plus disposée à sympathiser avec les grévistes qu’à agir contre eux. Il l’établit dans le bâtiment qui contient les bureaux de la compagnie et où elle demeura comme assiégée, et il fit connaître au gouverneur quelle était la situation. Cette situation empirait d’heure en heure : la compagnie apprenait que la grève qu’elle avait crue locale se généralisait, et que le service était interrompu dans toutes les gares situées au-delà de Martinsburg, soit dans la direction de l’Ohio à Cumberland, Kayser, Newark, soit sur la ligne de Chicago. La circulation étant complètement arrêtée, 70 trains montans ou descendans étaient en détresse à Martinsburg et dans les environs : les marchandises dont ils étaient chargés étaient sans protection. Une députation des bateliers du canal de la Chesapeake à l’Ohio, qui étaient en grève depuis deux mois, était venue à Martinsburg et avait promis aux grévistes de leur prêter main-forte. Les grévistes avaient contraint les ouvriers des ateliers de réparation à quitter leur travail ; une multitude d’ouvriers sans ouvrage étaient accourus à Martinsburg et parcouraient les rues en vociférant. Les grévistes qui avaient été arrêtés par la police avaient été délivrés par leurs camarades, et le maire avait été menacé de voir mettre le feu à l’hôtel de la gare, dont il était propriétaire, s’il prêtait à la compagnie l’assistance de la police municipale. La ville tout entière était à la merci d’une multitude désordonnée au sein de laquelle les femmes se faisaient remarquer par leur exaltation et la violence de leur langage. La situation n’était pas meilleure dans les villes voisines. Le gouverneur, qui s’était rendu de sa personne à Grafton pour essayer de pacifier les esprits, faillit y être lapidé : il fut poursuivi à coups ; de pierres jusque dans l’hôtel où il était descendu, et un moellon