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jusqu’à trois heures du matin, il s’épuisa en vains efforts pour leur démontrer l’illégalité de leur conduite. On lui déclara que l’on continuerait à ne laisser circuler aucun train, on le mit au défi d’opérer aucune arrestation, et comme il annonça qu’il allait être obligé de requérir l’intervention de la milice : « Demain nous serons vingt mille, » lui répondit un des assistans.

En effet, les débardeurs du port et les ouvriers des usines, abandonnant leur travail, s’étaient déjà joints aux grévistes. Le lendemain, leur nombre s’accrut encore ; d’heure en heure, on voyait arriver en ville des bandes d’ouvriers mineurs, accourus des charbonnages et des puits de pétrole des environs. À midi, une réunion générale fut convoquée, et le président donna lecture, au milieu d’applaudissemens frénétiques, d’une dépêche datée d’Hornelsville et signée de Barney Donahue, annonçant que le matin même les agens du réseau Érié avaient cessé leur service. À cette nouvelle, les agens de toutes les compagnies qui ont des gares à Pittsburg ou dans ses faubourgs se mirent immédiatement en grève, et vinrent se joindre aux agens du Central-Pensylvanien. Pittsburg se trouva sans communication avec Philadelphie, avec Chicago, avec le Fort-Wayne, avec Cleveland et avec Cincinnati. Le blocus était complet. La ville était à la merci des bandes tumultueuses qui la parcouraient ; le maire ne prenait aucune mesure, et la police demeurait spectatrice impassible des désordres qui se commettaient.

Cependant le shérif, au sortir de sa conférence infructueuse avec les grévistes, avait adressé une dépêche au gouverneur pour l’informer de son impuissance à rétablir l’ordre, et requérir l’assistance de la force armée. Le gouverneur appela sous les armes, par dépêche télégraphique, les deux régimens de milice et la batterie d’artillerie du comté, sous les ordres du général Browne, et donna ordre d’expédier de Philadelphie deux régimens d’infanterie, deux détachemens de cavalerie et trois mitrailleuses, sous les ordres du général Brin ton. Il chargea le général de division Pearson de prendre le commandement de toutes ces forces. Le général accourut à Pittsburg avec un premier détachement, et par son ordre, la locomotive, dépassant la gare, avança jusqu’au milieu de la foule qui couvrait les voies dans la traversée de la ville. Le shérif, montant sur le tender, donna lecture d’une proclamation du gouverneur, qui provoqua une explosion de sifflets et de huées. Les exhortations du shériff lui-même furent accueillies par des quolibets. Le général Pearson, montant à son tour sur le tender, prit la parole pour engager les émeutiers à réfléchir à la gravité de leur conduite. Il avertit qu’il avait reçu des ordres précis du gouverneur et qu’il était résolu aies exécuter. Il était donc inutile d’essayer d’arrêter les trains ; les trains devaient partir et ils partiraient ; lui-même