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leur travail ; mais des attroupemens continuaient à se former, et semblaient n’attendre que l’abandon des mesures de précaution et l’éloignement des troupes pour recommencer le désordre.

Tous les regards étaient tournés vers New-York : on se souvenait des émeutes qui avaient ensanglanté cette ville pendant la guerre civile et en 1874. Que d’élémens dangereux au sein des deux millions d’âmes qui peuplent New-York et Brooklyn ! Où trouverait-on les forces nécessaires pour rétablir l’ordre dans cette grande cité s’il s’y produisait un soulèvement comme à Baltimore ou à Pittsburg ? Le gouvernement Fédéral n’avait plus un seul homme dont il pût disposer : on n’avait laissé dans la plupart des forteresses que cinq hommes et un sergent pour fermer les portes. Il faudrait donc lever des troupes, et, en attendant qu’elles fussent prêtes à agir, commerce, industrie, relations sociales, tout serait suspendu : la confédération entière demeurerait comme frappée de paralysie. Les journaux de New-York adressaient aux ouvriers les exhortations les plus pressantes. Ils démontraient l’injustice et la folie de la grève, ils recommandaient le calme et le respect du repos public. Le dimanche 22 juillet, dans tous les temples et dans toutes les églises, les prédicateurs prirent le même sujet pour texte de leurs allocutions et prêchèrent l’obéissance aux lois, Deux courans se manifestaient parmi les ouvriers. Les plus intelligens et les plus laborieux comprenaient que force finirait toujours par rester à la loi, que tout désordre, se traduisant par la destruction de propriétés, aboutirait uniquement à une augmentation des taxes locales ; les villes et les comtés sont responsables de tous les dommages qui résultent d’une perturbation de la paix publique, et New-York payait encore chèrement les frais de ses dernières émeutes. De plus, ces ouvriers étaient sensibles à la réprobation dont l’opinion publique avait frappé les incendiaires et les pillards de Pittsburg, et ne voulaient point paraître les excuser : ils se rendaient compte du trouble apporté dans les affaires et des conséquences que la prolongation d’un pareil état de choses pouvait avoir pour eux-mêmes. D’autres au contraire, et parmi ceux-ci les ouvriers du port, qui formeraient à eux seuls une armée, se monteraient les plus violens, témoignaient hautement de leurs sympathies pour les grévistes, traitaient d’inique la conduite des autorités locales et du gouvernement, et parlaient d’y répondre par une grève universelle. Ils s’attroupaient autour des lieux de rassemblement de la milice, sifflant et huant les miliciens, et ne laissant aucun doute sur leurs dispositions hostiles. Certaines réunions ouvrières, tout en votant de vagues déclarations de sympathie pour les ouvriers de chemins de fer, recommandaient l’emploi exclusif des moyens moraux et des voies légales pour améliorer leur