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tenue par l’Internationale à New-York depuis la fin de la grève, Conroy a proposé d’acheter des armes et d’organiser dans chaque district électoral une compagnie de cent hommes « pour refréner les excès de la police. » Quelques jours plus tard, à Baltimore, un orateur populaire disait à un auditoire d’ouvriers en faisant allusion à la milice : « Est-ce que nous souffrirons longtemps que ces bourgeois couverts de passementeries nous fusillent quand nous demandons du pain ? » Que la société américaine ne s’y méprenne pas, ces grèves des chemins de fer, ces émeutes de Baltimore et de Pittsburg, qui ont été pour elle une douloureuse surprise, ont déposé plus d’un germe de guerre civile.

Les grévistes ne se montrent pas découragés par leur défaite, plusieurs des principaux ont annoncé que « l’affaire recommencerait au mois d’octobre, mais que les mesures seraient mieux prises. » Il ne paraît pas que cette menace soit sérieuse, car les mécaniciens, dont l’Union des chemins de fer se vante d’avoir le concours, se défendent d’avoir promis leur assistance pour le renouvellement de la grève. Bon nombre des chefs du dernier mouvement ont des comptes à rendre à la justice, et la présence du congrès, qui doit être convoqué dans le courant d’octobre, assurerait au gouvernement fédéral les moyens d’action nécessaires à une prompte répression. Ce qui n’est que trop réel, ce sont les progrès que ces tristes événemens ont fait faire aux menées de l’Internationale. Celle-ci, pour étendre son action sur des villes qui y avaient échappé jusqu’ici, met à profit les ressentimens que la répression des troubles et surtout l’intervention des milices ont laissés au sein de la population ouvrière. A Baltimore, ces ressentimens sont si vifs et se sont manifestés si ouvertement que le gouverneur a cru faire acte de prudence en gardant la milice sous les armes pendant plusieurs semaines, et en la faisant camper à proximité de la ville. Le 5 août, plus de 6,000 ouvriers remplissaient la grande salle et les galeries de l’Institut du Maryland, afin d’entendre un des orateurs de l’internationale, Mac-Donnel, rédacteur de l’Etendard du travail, venu à Baltimore pour y organiser le parti des travailleurs. Chaque fois qu’il arriva à l’orateur de prononcer le nom des administrateurs de quelques chemins de fer ou d’y faire allusion, cet immense auditoire se levait frémissant et éclatait en cris sauvages : « A la potence ! Il faut qu’ils soient pendus ! » Une tempête d’applaudissemens frénétiques accueillit les paroles suivantes : « C’est l’intolérable tyrannie du capital qui a réduit les grévistes à brûler les gares et à détruire les chemins de fer, et peut-être leur sort serait-il meilleur aujourd’hui, s’ils avaient donné plus tôt cette marque de leur énergie. Leur excuse est la nécessité, qui n’a pas de loi. Ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait sous les étreintes de la faim et du