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de Ceprano, ont, pendant ces dernières années, alimenté en quantités considérables les marchés de Rome, bien insuffisamment pourvus jusqu’à ce jour. Nul doute que l’entreprise du prince ne doive lui être un jour largement rémunératrice, mais il est facile de démontrer qu’elle a été singulièrement avantageuse aussi pour le pays. Dans la zone côtière de 3,000 hectares environ immédiatement supérieure au périmètre du nouveau domaine, c’était à peine si les terres voisines du bassin lacustre trouvaient jadis acquéreur à 425 francs l’hectare ; aussitôt après le dessèchement, on en vit monter le prix moyen à 1,700 francs, et l’on peut croire que dans quelques années, quand la culture les aura profondément labourées, elles reprendront la valeur des terres qui les environnent, c’est-à-dire de 2,500 à 3,000 francs : ce sera une augmentation de la richesse publique de 6 à 8 millions pour cette seule contrée.

Il va de soi qu’un si grand domaine, avec un système d’eaux nécessairement complexe et dont toutes les parties sont intimement solidaires, réclame la puissante unité d’une direction incessante. Toute cette belle ordonnance de canaux aux pentes quelquefois peu sensibles, de niveaux qui se correspondent, de berges et de digues, d’écluses et de vannes, périrait bientôt sans la vigilance d’une administration toujours attentive. Cette unité nécessaire pourra-t-elle subsister longtemps avec les lois sur le régime de la propriété ? La division ou le parcellement ne serait-il pas ici la ruine ? Les latifundia sont-ils conciliables avec la constitution de nos sociétés modernes ? D’autre part cependant, quel autre ou du moins quel meilleur moyen que celui-ci pour régénérer presque subitement une contrée, pour créer si promptement une si grande richesse, dont profitera le plus pauvre comme le plus opulent ? Quel genre d’exploitation conviendra le mieux ? la grande ou la petite culture, l’aliénation parcellaire, ou la location, ou l’affermage ? Ces problèmes et bien d’autres viennent à l’esprit devant la création du prince Torlonia ; il paraît, lui, les avoir résolus sans peine, puisque cette vaste administration fonctionne aisément et prospère. Laissant à d’autres le soin de discuter ces graves questions, il nous suffira d’avoir remercié et félicité le prince pour cette œuvre à moitié française, d’avoir rendu justice à l’ingénieur qui a mené à bonne fin un travail si considérable, et d’avoir pu signaler du même coup un beau sujet d’étude pour l’antiquaire et l’économiste. Il n’y a que l’Italie pour offrir ces sortes de rencontres saisissantes entre l’avenir et le plus lointain passé.


A. GEFFROY.