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M. Lélut, à propos de Socrate et de Pascal, dans deux monographies qui sont restées célèbres. Évidemment, mieux vaut encore être un fou qu’un imposteur ; M. Lélut a eu au moins le mérite de mettre hors de doute la parfaite bonne foi de quelques illustres hallucinés ; mais, Dieu merci, nous n’en sommes plus réduits, pour réhabiliter leur mémoire, à faire peser un doute humiliant sur l’intégrité de leurs facultés mentales. « L’hallucination, dit M. Despine, phénomène où l’anomalie réside totalement dans l’appareil sensoriel et non dans les facultés psychiques, ne compromet pas plus la raison, par lui seul, qu’un tic douloureux, qu’un mouvement spasmodique. »

Néanmoins nous avons peine à croire que, dans le cas où l’objet présenté par l’hallucination est manifestement contraire à l’ordre régulier et invariable des choses, un homme éclairé et instruit puisse y ajouter foi. Il est possible, par exemple, que, sous l’influence d’une hallucination, un savant aperçoive l’image d’une personne morte depuis longtemps ; mais le fait de la résurrection d’un mort est tellement contraire à tout ce que nous connaissons des lois de la nature, que dans ce cas l’halluciné, s’il est encore sain d’esprit, révoquera plutôt en doute ce faux témoignage de perception externe. Peut-être même une adhésion trop fatale de la croyance à un pareil témoignage devrait-elle être prise en quelques circonstances pour l’indice d’un trouble plus ou moins profond des facultés intellectuelles. Il n’est-pas rare du reste que la victime de ce phénomène le juge elle-même avec sang-froid Comme une illusion fantastique sans réalité. Tel est le cas rapporté par Charles Bonnet, « Je connais, dit-il, un homme plein de santé, de jugement et de mémoire, qui, indépendamment des impressions du dehors, aperçoit de temps en temps devant lui des figures d’hommes, de femmes, d’oiseaux, de bâtimens, Il voit ces figures s’approcher, s’éloigner, fuir, diminuer et augmenter de grandeur, paraître, disparaître, reparaître. Il est très important de remarquer que ce vieillard ne prend point, comme les visionnaires, ses visions pour des réalités. Ces visions me sont pour lui que ce qu’elles sont en effet, et sa raison s’en amuse. Il ignore d’un moment à l’autre quelle vision s’offrira à lui ; son cerveau est un théâtre dont les machines exécutent autant de scènes qui surprennent d’autant plus le spectateur qu’il les a moins prévues. »

Nous venons de marquer la distinction entre la folie et certains états, dus manifestement à des causes physiologiques et qui présentent avec elle quelques ressemblances. La limite devient plus délicate à déterminer quand on se borne à considérer les manières d’être purement intellectuelles et morales qui s’éloignent plus ou moins de ce qu’on est convenu d’appeler le sens commun.

Pour le vulgaire par exemple, être original ou être un peu fou,