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à moins qu’on n’affirme d’une manière générale que Dieu ne veut que ce qu’exigent la justice absolue et l’absolue bonté. Mais prétendre savoir que Dieu veut des tortures et des massacres, fermer ses oreilles à toutes ces paroles d’amour et de pardon qui retentissent à chaque page des Évangiles, ne pas rentrer en soi-même, ne pas s’interroger avec angoisse sur la légitimité de tant de sanglans attentats, voilà certes de tous les orgueils et de tous les aveuglemens le plus criminel. Pour s’en préserver ou s’en guérir, les lumières à aucune époque n’ont fait défaut, aux ministres du Christ moins qu’à personne ; ils n’avaient qu’à prendre leur Dieu pour modèle : s’ils ne l’ont pas fait, ils auraient pu le faire. Ils ont peut-être échappé au remords, mais la responsabilité les atteint.

Bien que le mot fanatisme désigne ordinairement une certaine exaltation du sentiment religieux, il peut, par extension, s’appliquer à toute passion qui s’empare de l’âme tout entière et la domine sans partage. Ceux qui voient un fou dans le fanatique devraient, pour être conséquens, identifier avec la folie toute passion violente et la déclarer irresponsable.

Il est certain que dans l’extrême passion le libre arbitre est à peu près aboli, s’il ne l’est tout à fait ; il semblerait donc que la responsabilité dût s’atténuer et disparaître avec lui. Dans un violent accès de colère, par exemple, l’homme ne s’appartient plus, et nombre d’aliénistes veulent qu’on prenne à la lettre, comme l’expression exacte d’une vérité scientifique, l’adage bien connu : ira furor brevis est. Ils voient là un véritable raptus, un accès subit et passager d’aliénation ; les actes en cet état cessent absolument d’être coupables ; de même pour ceux que provoquent l’amour, la jalousie, toutes les passions, en un mot, qui, susceptibles d’une exaspération soudaine, déterminent des folies impulsives de courte durée. La gravité d’une pareille doctrine, au point de vue moral, social, juridique, n’échappera à personne. Nous pensons, quant à nous, que, sur cette question délicate, toute solution trop générale et trop exclusive doit être écartée et qu’on a trop souvent méconnu d’importantes distinctions.

Il est certaines passions qui peuvent être plus spécialement regardées comme acquises, parce que, tout en existant en germe chez l’individu dès sa naissance, elles ne se développent que par suite des circonstances où il s’est trouvé et des habitudes qu’il a volontairement contractées. En conséquence, elles ne seront jamais assez fortes à l’origine, leur explosion ne sera jamais assez soudaine, assez irrésistible, pour qu’on puisse y voir l’expression dans l’ordre moral d’une fatalité physiologique capable d’abolir toute liberté. De ce nombre, par exemple, est l’ambition. Il y a des hommes qui