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Australiens, et il faut convenir que cette jalousie a bien sa raison d’être. Non-seulement la Nouvelle-Zélande se dresse en face de l’Australie comme une concurrente redoutable pour la production de la laine et de l’or, mais elle recrute sa population aux dépens de sa rivale, et lui ferme ainsi les sources de l’avenir. Eblouie par les résultats obtenus en si peu de temps, l’immigration européenne se détourne en effet de plus en plus de l’Australie, et, pis que cela, les colons australiens eux-mêmes, surtout ceux de Queensland, ont dans ces dernières années abandonné leurs établissemens pour aller les recommencer sur nouveaux frais en Nouvelle-Zélande.

Les querelles des squatters et des free selecters sévissent en Nouvelle-Zélande comme en Australie, et avec un degré plus particulier encore peut-être de malignité. Nous avons sur ce point le témoignage difficilement récusable de lady Barker, femme d’un squatter anglais établi pendant plusieurs années dans la province de Canterbury, qui, dans deux aimables petits volumes, nous a raconté par le menu les travaux journaliers et les plaisirs de sa vie pastorale. Selon elle, cette animosité est fertile en résultats des plus fâcheux pour la religion et l’éducation du peuple de la colonie. Nombre de districts pastoraux pourraient être pourvus d’une église et d’une école qui en sont privés parce que les squatters refusent presque invariablement de s’associer aux souscriptions ouvertes à cet effet, ne voulant pas contribuer à une œuvre dont le résultat certain serait d’accroître dans leur voisinage les nids de cacatoès. Ce serait duperie, disent-ils, que de dépenser leur argent pour procurer aux free selecters les avantages de la vie sociale, car ce serait leur donner une prime d’encouragement pour venir par multitudes voler leurs bestiaux et dévaster leurs palissades. D’ailleurs, disait à lady Barker un de ses amis, qu’elle sollicitait pour la création d’une école de hameau, ces largesses, qui créeraient nécessairement une manière de patronage, ne pourraient pas manquer d’être ressenties comme une atteinte à l’égalité par les démocratiques cacatoès, « oiseaux indépendans qui considèrent qu’ils ont laissé derrière eux, dans la vieille patrie, toutes les ladies Bienfaisance avec leurs bons de couvertures et de charbons, et qu’ils sont arrivés dans un pays où Jack vaut son maître. » Sous l’influence de ce sentiment de malveillance, l’instruction populaire reste fort en retard. Les maîtres et maîtresses d’école sont rares en Nouvelle-Zélande, et, lorsqu’il s’en rencontre ils exigent une rémunération en harmonie avec les salaires élevés de la colonie. Le cacatoès ne travaille qu’à gros gages ; pourquoi le maître d’école instruirait-il ses enfans à prix réduits ? L’état de choses que nous décrit lady Barker est celui de 1867-68 ; M. Trollope nous a décrit de son côté celui de 1872-73, et il ne semble pas que la situation eût beaucoup changé entre ces