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famille et payée à l’amiable ; qu’enfin ils ne doivent rien au roi pour leurs terres, bien qu’ils ne reconnaissent d’autre seigneur que le même roi. Il existait quelque chose de semblable dans les deux districts voisins, où les habitans avaient religieusement conservé les antiques libertés de la race commune. Aussi non-seulement les Basques français étaient-ils toujours regardés comme des frères par les Basques de l’autre versant, mais dans le reste de l’Espagne ils jouissaient des mêmes faveurs que leurs congénères. Au commencement du XVIIe siècle, nombre de naturels du territoire de Saint-Jean-Pied-de-Port possédaient des emplois en Navarre et en Castille, et si quelque habitant de la Soule voulait s’établir en Espagne, il lui suffisait de prouver quatre générations d’origine basque pour être reconnu comme noble et admis dans tous les ordres militaires qui exigeaient des preuves de noblesse. Les privilèges des Basques français ont disparu en 1790 sous le terrible niveau de la révolution, mais il ne semble pas qu’elle ait aussi bien réussi à effacer la ligne de démarcation qui sépare le Basque de tous ses voisins. Ces populations subissent nos lois, elles ne les ont pas encore acceptées ; bien plus, pour échapper à la conscription, la fleur de leur jeunesse émigré chaque année, sans espoir de retour, dans les contrées les plus malsaines du Nouveau-Monde, et, d’après les documens officiels sur le chiffre total des réfractaires français, le département des Basses-Pyrénées en a compté parfois à lui seul les deux cinquièmes ou la moitié.


II

A la vérité, si les Basques espagnols ont pu sauver si longtemps leur autonomie, ce n’a pas été sans peine, et plus d’une fois, princes ou ministres, les représentans du pouvoir central se sont ingéniés à restreindre leurs droits. Tantôt c’est Philippe III qui tente d’introduire en Vizcaye la contribution des millions ; tantôt c’est Philippe IV qui veut soumettre le señorio à l’impôt du sel ; un jour doña Juana institue en Guipuzcoa, contrairement au fuero, un alcade mayor ; une autre fois, Charles III enlève à la même province l’usage du pase foral. A tous ces abus d’autorité, à toutes ces violations du fuero, seules ou réunies selon les circonstances, les trois provinces opposent une résistance infatigable jusqu’à obtenir gain de cause ; le plus souvent, déclarant l’ordre royal « écouté et non accompli, » elles font agir auprès du roi, qui, après enquête, revient sur sa décision ; mais parfois aussi, par l’obstination des ministres, la querelle s’envenime. Fortes de leur droit, elles n’hésitent pas alors à élever la voix en face des plus puissans monarques, protestant