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pour remplacer Méhémet-Ali dans la direction de l’armée turque de l’est ; il a eu lui-même pour successeur devant Chipka le ministre de la guerre, Réouf-Pacha. Pourquoi Méhémet-Ali a-t-il été rappelé à Constantinople ? Il n’avait rien compromis, il avait opéré avec méthode et même avec quelque succès puisqu’il avait rejeté le tsarévitch sur la Yantra. Il a été peut-être jugé trop prudent pour n’avoir pas marché avec plus de hardiesse, pour avoir au contraire laissé les Russes regagner du terrain après un léger échec qu’il a essuyé à Tcherkovua. Suleyman-Pacha, à qui l’audace ne manque pas, réussira-t-il à reprendre l’avantage et à refouler encore une fois, à menacer les Russes dans leurs fortes positions ? C’est au moins une question. Osman-Pacha, quant à lui, reste à Plevna, où, jusqu’ici, il a été inexpugnable. Les Russes, de leur côté, après les pertes sérieuses qu’ils ont essuyées, ont eu le temps de recevoir les renforts qu’ils attendaient, notamment la garde impériale, qui arrive tout droit de Pétersbourg pour débuter sur ce terrain sanglant et boueux. Les Russes ont mieux fait encore peut-être, ils ont fini par où ils auraient dû commencer : ils ont appelé devant, Plevna leur plus éminent ingénieur, le général Totleben, qui s’est illustré, il y a vingt-deux ans, par l’organisation de la défense de Sébastopol. Après avoir défendu avec tant d’éclat la ville russe, il est appelé à montrer son habileté dans l’attaque. Russes et Roumains semblent avoir renoncé à enlever d’un seul coup, de vive force, les retranchemens formidables où ils ont versé tant de sang. C’est une véritable opération régulière qu’ils paraissent entreprendre avant de revenir à l’assaut, et ils ne sont rien moins que sûrs du succès.

D’un côté, Osman-Pacha a prouvé qu’il était homme à ne pas se laisser facilement déloger de ces positions où il s’est puissamment établi, dont il a multiplié les défenses. Il reste jusqu’ici après tout dans les meilleures conditions possibles. Il garde ses communications avec Chevket-Pacha, qui est à Orkhanié et dont il a reçu déjà plusieurs convois, avec qui il a pu se rencontrer. Il a des soldats énergiques, des munitions, des vivres, la force des positions, une habileté attestée par ce qu’il a fait depuis près de trois mois. Ces défenses de Plevna font de loin un peu l’effet de celles de Petersburg et de Richmond, dont le valeureux Lee fit payer si cher la possession au général Grant. Les Russes, avant d’en venir à bout, ont évidemment un effort énergique à faire. Ils n’ont pas seulement besoin de l’opiniâtreté et de l’héroïsme dont ils n’ont jamais manqué dans leurs rencontres avec les Turcs ; ils ont besoin d’une direction mieux entendue et de forces considérables sans lesquelles ils peuvent être menacés sur tous les points par des armées moralement et matériellement intactes, résolues au combat autant qu’ils peuvent l’être eux-mêmes. D’un autre côté, la saison défavorable commence et aggrave toutes les difficultés pour des opérations actives. Déjà la neige couvre les Balkans, et les défenseurs de Chipka