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donner complet. J’en ai dit assez pour avoir le droit de poser cette question : En appliquant la loi constitutionnelle la plus saine à un état comme celui qui vient d’être décrit, le ministre pouvait-il en attendre un secours efficace, soit pour l’état général des choses, soit pour tel ou tel cas particulier ?

« Je suis obligé de répondre : Non. Aujourd’hui encore, je ne puis croire qu’un homme d’état possédant une véritable expérience de la pratique constitutionnelle, à la place de M. Guizot, eût agi comme lui. Quant à la majorité numérique d’un parlement qui, aux yeux du plus grand nombre, est le parlement du gouvernement, non le parlement de la nation, — si on veut savoir ce qu’elle est en réalité, ce qu’elle peut, comment elle finit d’ordinaire, et par conséquent la valeur qu’un ministre doit lui attribuer dans ses combinaisons, on peut le lire en bien des pages de toutes les histoires parlementaires. On y trouve ceci en caractères qui sautent aux yeux : les seules décisions parlementaires qui exercent une influence de conciliation et d’apaisement dans les temps d’orage, ce sont celles qui, étant de nature à mériter le suffrage des amis de la constitution, arrachent en même temps aux ennemis de l’ordre un aveu secret, — à savoir que cette majorité, dans la crise du danger public, a vraiment renoncé à tout esprit de parti, pour ne suivre que les conseils de la modération et de la justice patriotique.

« Qu’était la politique confiée au ministre et dont il avait promis d’assurer le succès ? Dans les affaires extérieures, une politique grosse de périls ; à l’intérieur, une politique visant au changement de la constitution. Telle était l’opinion de tous les esprits intelligens du pays. La chose est notoire. C’est pourquoi le ministre ne pouvait placer sa majorité dans la catégorie de celles que je viens de décrire, et en attendre les résolutions que j’ai signalées.

« Donc à la déclaration de M. Guizot j’oppose expressément celle-ci : — Un ministre qui, dans des circonstances semblables, aurait eu réellement comme lui l’intention de demeurer dans les limites de la constitution n’avait pour cela qu’un moyen : résigner ses fonctions, quoiqu’il possédât la majorité. Sa résolution de garder le pouvoir en de telles conditions renfermait un danger inévitable, celui de laisser arriver en dernière instance un conflit qui, commencé sur le terrain légal et dans la forme légale, devait nécessairement finir en dehors de toute légalité. Or l’histoire de tous les conflits que des gouvernemens impopulaires ont osé engager en se fiant à la force invincible des majorités parlementaires offre toujours les mêmes résultats. Grâce à des circonstances favorables et au moyen d’une direction habile, ces gouvernemens peuvent bien défendre quelque temps une politique impopulaire, jamais ils ne peuvent la faire triompher. Même dans le cas où la défense de cette politique a réussi quelque temps, le succès n’a été possible que pour une raison, c’est que la défense s’était restreinte à des questions