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il l’avait pris lui-même en défiance. Il sut bientôt que cette réserve était la défense d’une grande âme attentive à ne compromettre aucun des intérêts dont elle était chargée. Robert Peel craignait qu’une parole de lui, répétée d’une façon inexacte, ne donnât lieu à de fausses interprétations. Ce qui pouvait passer pour manque de franchise et calcul d’ambitieux était au contraire la marque du désintéressement le plus vrai, des scrupules les plus délicats et les plus rares. Peu d’hommes ont montré comme lui une préoccupation constante de ce que Royer-Collard appelle les parties divines de l’art de gouverner. Toutes ses pensées, toutes ses études, cette application de tous les jours aux matières d’économie politique et de finances, n’avaient qu’un mobile et un but : le bien-être du plus grand nombre, la prospérité de l’Angleterre, le bonheur de l’humanité.

L’humanité, le sentiment de l’humanité, c’était bien là le trait distinctif de cet esprit, d’ailleurs si profondément anglais. La politique anglaise a trop souvent encouru le reproche d’égoïsme ; lui, sans oublier aucun de ses devoirs nationaux, il croyait bien servir son pays en imprimant à ses traditions quelque chose de plus large et de plus humain. Ce qu’il avait fait si glorieusement le jour où il avait rompu avec son parti pour sauver les intérêts du pauvre, il le faisait avec une égale hardiesse en s’attachant à la cause commune de la civilisation. Dans les deux cas, le programme était le même : ici maintenir l’ordre et cependant venir en aide à des millions de malheureux ; ici se dévouer aux intérêts de l’Angleterre et travailler en même temps pour le genre humain. Il ne se séparait pas en réalité de la tradition conservatrice, il n’en repoussait que l’égoïsme intraitable ; il ne se séparait pas davantage de la tradition patriotique, il n’en repoussait que l’étroitesse hargneuse. C’était les servir l’une et l’autre, puisqu’il les épurait toutes les deux. Son dernier discours est tout rempli de ces sentimens. Il faut lire, en ces grands débats du mois de juin 1850, avec quelle ardeur d’équité vraiment humaine il caractérisait la diplomatie britannique telle que l’avait façonnée lord Palmerston. « Qu’est-ce donc que la diplomatie ? disait-il. Un instrument coûteux destiné au maintien de la paix… Si vous employez votre diplomatie à envenimer toutes les blessures, à provoquer les ressentimens au lieu de les dissiper, si vous n’y voyez qu’un moyen de placer dans chacune des cours de l’Europe un ministre chargé non pas de prévenir ou d’arranger les querelles, mais de prolonger des correspondances irritées, de favoriser tout ce qu’on suppose être un intérêt anglais, d’entretenir des conflits avec les représentans des autres puissances, je dis que les dépenses faites pour ce coûteux instrument ne sont pas seulement du gaspillage, je dis qu’elles sont funestes, je dis que ce grand