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tour pour la liberté menacée ou pour la royauté en péril, dominant les partis de sa sincérité passionnée, impatient d’action comme s’il sentait les jours lui échapper. Il ressemble à une de ces apparitions émouvantes qui ne font que passer, et dans la brièveté pathétique de sa vie il résume les efforts, les crises, les fatalités, les mécomptes de cette politique de modération constitutionnelle qui aurait pu faire durer la monarchie de 1815, dont la défaite a été le commencement et le présage de toutes les chutes.

Ce que De Serre a été dans son rôle public aux heures décisives de ces années laborieuses, les historiens de la restauration, M. de Viel-Castel, M. Duvergier de Hauranne, Lamartine, l’ont raconté. M. Guizot l’a dit aussi dans ses Mémoires avec la fidélité des souvenirs personnels. Royer-Collard, dans ses conversations, laissait parfois échapper des traits saisissans sur celui dont il avait été tour à tour l’ami passionné et l’adversaire attristé. Pour tous, il est resté le premier des parlementaires ; de son temps, une des plus puissantes expressions de l’éloquence dans le drame des affaires humaines. Cette Correspondance, recueillie aujourd’hui après un demi-siècle par une piété filiale et composée de lettres de toute sorte échangées par De Serre avec M. Decazes, le duc de Richelieu, M. Pasquier, Royer-Collard, M. de Barante, le duc de Broglie, avec les amis de sa jeunesse ou de sa maturité comme avec sa famille, cette Correspondance ne renouvelle pas l’histoire sans doute, elle ne crée pas un personnage nouveau ; elle éclaire et complète l’histoire par ses révélations sur le jeu des événemens et des caractères, sur les négociations, les rapports et les conflits secrets des acteurs de la politique. Elle est comme une évocation familière de ce monde de 1820, et ce qui en fait surtout l’attrait, c’est qu’au sein de ce monde revit le plus intéressant des hommes avec son intégrité morale, son esprit de « haut vol, » selon le mot de Sainte-Beuve, et cette âme courageuse, palpitante d’une émotion continue, qui s’est si rapidement dévorée. C’est en effet l’homme tout entier peint par lui-même dans sa vérité et son intimité, au courant d’une carrière qui va de l’autre siècle à 1824, qui se dégage de la révolution et de l’empire pour arriver à l’éclat suprême par le régime constitutionnel.


I

Au moment où la restauration offrait à la France vaincue le dédommagement d’une monarchie libérale et, après les luttes militaires, rouvrait aux activités déçues ou inoccupées les luttes de la politique, celui qui allait être un guide de l’opinion et bientôt le