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transcrivit sur son calepin et déclara que le peuple de Genève était un grand peuple. Paolo-Emilio Imbriani est mort cette année en laissant une grande réputation de droiture et de fermeté. Il avait eu cinq fils qui représentaient tous les partis napolitains : l’un d’eux était clérical, un autre conservateur, les trois autres républicains de diverses nuances ; les plaisans prétendaient qu’à la table de famille, pour éviter des bourrasques, on devait placer des paravents entre chacun des convives ; nous savons au contraire que, malgré leurs dissentimens politiques, les cinq Imbriani vénéraient leur père et se chérissaient entre eux. Trois de ces fils sont morts jeunes ; le plus intéressant pour nous est Giorgio Imbriani, étudiant, journaliste, ultra républicain, jacobin, terroriste et surtout bon enfant. C’est lui qui en 1869, lors de l’anti-concile réuni à Naples contre celui du Vatican, salua le délégué mexicain de ce cri féroce : « Vive le pays qui a tué un empereur ! » Il n’en avait pas moins l’âme douce et candide. En 1871, il vint en France avec Garibaldi et se battit pour nous contre les Prussiens, qui le tuèrent. Son corps, ramené en Italie, a été déposé, avant celui de son père, dans le caveau de la famille à Pomigliano d’Arco.

M. Vittorio Imbriani est un érudit et un polémiste, très conservateur en politique et un peu téméraire en littérature : il ne craint pas de donner des coups ni d’en recevoir. Il a publié cette année même un petit livre, les Réputations usurpées[1], dans lequel il attaque vivement trois des poètes contemporains dont l’Italie s’honore ; après quoi, pour-consoler ses victimes, il s’en prend au Faust de Goethe et démontre que c’est un poème manqué. Heureusement pour lui, sa science est plus sage et plus sûre que sa critique ; il a professé avec succès, comme privat docent, à l’université de Naples, et l’on cite de lui des travaux estimés, notamment une étude sur le Pentamerone de Basile. Nous avons eu déjà l’occasion, ici même, de citer cet ancien recueil de contes populaires, qui fut connu peut-être de Perrault, et qui a encore beaucoup de lecteurs en Allemagne.

On le voit, M. Vittorio Imbriani appartient à cette famille de savans dont M. Pitre, le collecteur des œuvres poétiques et narratives du peuple sicilien, est le membre le plus laborieux et le plus modeste. Ces hommes d’étude parcourent les rues et les champs, écoutent les récits des nourrices et des paysannes, et les écrivent sous leur dictée en notant avec soin la prononciation de ces simples gens ; ils arrivent ainsi à faire de curieuses études sur les patois, sur les dialectes, sur les coutumes et les traditions, sur la mémoire

  1. Fame usurpate, quattro studii di Vittorio Imbriani, Napoli, 1877. Riccardo Marghieri di Guisoppe. La première édition de ce volume a été épuisée en deux mois ; la seconde va paraître.