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présentait au roi en lui disant : « Serviteur de sa majesté. — Bonjour, Joseph la Vérité, comment vont les vaches ? — Fraîches et grasses. — Comment vont les veaux ? — Frais et gros. — Comment va le taureau ? — Fort et beau. » Le roi était très content de Joseph et le louait sans cesse ; les courtisans jaloux voulurent que le vacher fût pris en flagrant délit de mensonge. A cet effet, ils lui envoyèrent la « femme, » et cette femme devait l’induire, « par ses paroles et ses manières, à tuer le taureau. » Joseph se laissa tenter et sacrifia la belle et forte bête, mais il se trouva après « fort embrouillé » sur ce qu’il aurait à dire au roi. Il fit une répétition pour préparer sa réponse, mit son manteau sur une chaise et supposa que ce fût le souverain. « Serviteur de sa majesté. — Bonjour, Joseph la Vérité, comment vont les vaches ? — Fraîches et grasses. — Comment les veaux ? — Frais et gros. — Comment le taureau ? — Fort et beau ;… non, dit-il en se reprenant, cela ne va pas bien. Je ferais un mensonge. Quand le roi me demandera : Comment va le taureau ? il faudra que je lui réponde : Le taureau est mort, et c’est moi qui l’ai tué. » Ainsi fit-il, et le roi le loua très fort de sa franchise. Joseph ne quitta pas la cour, où on le tint en haute estime, et les courtisans se rongèrent les doigts. »

Telle est la biographie de Joseph la Vérité, comme on la raconte à Pomigliano. Si l’on veut comparer les récits du peuple avec ceux des écrivains de profession, qu’on cherche dans Straparola la cinquième fable de la troisième nuit, on y verra comment Yseult, femme de Lucaferro di Albano de Bergame, croyant avec astuce dauber Travaglino, vacher d’Émilien son frère, pour le faire paraître menteur, perdit le patrimoine de son mari et rentra chez elle avec la tête d’un taureau aux cornes d’or, toute honteuse. On y notera ces cornes d’or qui se trouvent également dans d’autres versions populaires du récit, et qui en accusent l’origine aryenne. On notera encore que les contes du peuple se recommandent presque toujours par leur chasteté ; le narrateur de Pomigliano n’insiste pas sur les paroles et les manières de l’inconnue qui fit tuer le taureau, elle est désignée par un simple mot qui dit tout : « la femme. » Straparola au contraire s’arrête avec une complaisance pleine d’agacerie sur la séduction d’Yseult. Une Allemande qui a recueilli avec beaucoup de soin des nouvelles siciliennes, Mme Laure Gonzenbach, nous donne une autre version très circonstanciée où la pointe grivoise ne fait pas défaut. Mais nous n’avons pas les libertés des Allemandes.

La fable de Joseph la Vérité prouve qu’il est profitable de ne point mentir ; celle de l’Oiseau griffon démontre qu’il est dangereux de tuer son semblable. — Un roi souffrait du mal d’yeux (les Napolitains appellent ainsi toute espèce d’ophthalmie et plus