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députés, il parcourait de nouveau le pays et revoyait Pagny, la maison de famille qui avait été vendue depuis, son père nourricier Gilbert et ses enfans, il écrivait à sa mère : « En allant à Pont-à-Mousson, les eaux étant fort basses, je passai le gué à l’Aloppe et j’allai à Pagny, où l’on fut fort étonné de me voir, étonné et troublé ; je l’étais aussi moi-même, l’âme pressée par tant de souvenirs si contraires qu’elle ne les pouvait recevoir tous à la fois… Je remis aux enfans de Gilbert deux pièces de 40 francs, je les embrassai tous, et pensif, attendri, les yeux humides, ma voiture m’enleva sur cette route de Moulon où nous avons fait tant de promenades, à droite du fameux clos. Je franchis le fossé où j’arrêtai mon cheval en vous rencontrant au retour de ma première émigration. J’avais revu le cimetière où reposent mes grands parens, la maison où je suis né, le jardin où j’ai passé six mois de félicité (après l’émigration) comme le ciel avare en accorde si peu. Tout cela maintenant divisé, dégradé, passé en des mains étrangères. Je pensais à tout ce que là vous aviez senti, souffert, mérité, et j’arrivai ainsi, sans mot dire, à Pont-à-Mousson… »

Ce moment de 1797, ce retour furtif que De Serre consacrait ainsi après vingt ans par une commémoration émue, n’avait eu en effet qu’une courte durée, les « six mois de félicité » dont il parlait. Le 18 fructidor l’avait contraint à reprendre le chemin de l’exil, à subir une seconde expatriation forcée qui lui avait semblé plus dure que la première. Ce n’est qu’avec le consulat qu’il avait pu rentrer dans son pays, et cette fois définitivement, heureux de retrouver une France transformée, réconciliée et illustrée, prêt à s’ouvrir une carrière nouvelle dans l’ordre renaissant. C’est peut-être, dans ces préliminaires de la vie d’un homme public, la partie la moins connue ou, si l’on veut, celle dont on a toujours le moins parlé sous la restauration. En réalité, si celui qui était appelé à devenir le ministre de Louis XVIII avait commencé par l’émigration, il avait été aussi un magistrat de l’empire, et il l’était devenu sans effort, avec bien d’autres émigrés à qui Napoléon rendait l’illusion de la monarchie.

Rentré en France dès 1800, se retrouvant avec une fortune paternelle diminuée par les malheurs de la révolution, instruit et plein de feu, Hercule de Serre avait senti aussitôt le besoin de se créer parle travail une position honorable et fructueuse. Il avait choisi le barreau, et avait été ce qu’on appelait alors un « défenseur officieux, » avant de venir chercher à Paris un diplôme régulier d’avocat. Il s’était senti ramené à cette carrière par des traditions de famille parlementaire ; il y était préparé par un don naturel de la parole, une vive et forte intelligence, une sérieuse éducation littéraire et les