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Qu’on saisisse les abus les plus crians, qu’on frappe surtout là où il y a eu quelque illégalité flagrante, là où l’élection a pu être notoirement viciée, rien de mieux ; au-delà, ce ne serait plus qu’un entraînement dangereux. D’abord on a l’air d’exercer une vengeance de parti, et le plus souvent les invalidés renvoyés devant les électeurs reviennent avec un mandat nouveau qui ressemble à une protestation contre la partialité du vote d’invalidation. Et puis, dans l’intérêt même de la dignité publique, est-il bien utile de regarder de trop près tous les détails dans ce vaste laboratoire du suffrage universel ? Ne risque-t-on pas de jeter quelque déconsidération sur l’origine du pouvoir parlementaire en étalant ou en prolongeant trop le spectacle de ces pressions qui se disputent de pauvres gens, de ces manèges de bulletins gommés ou non gommés qui ont un côté assez triste ? Qu’on fasse quelques exemples, le reste n’est plus qu’une guerre de broussailles, qui n’est souvent que puérile, et qui deviendrait dangereuse dès qu’elle dépasserait une certaine limite, qui ne serait qu’un élément de plus dans un conflit que tous les esprits prévoyans doivent s’efforcer d’apaiser.

Quelques élections disputées, validées ou invalidées, ce n’est encore rien. Le point grave, c’est le budget. Ici tout devient pressant. Il y a une résolution à prendre sans perdre de temps. Le budget doit être voté avant le 1er janvier, et ce qui est en question, c’est ni plus ni moins la marche régulière des services publics. Qu’il y ait des chocs politiques, des difficultés parlementaires, des rivalités de pouvoirs, soit, tout cela est possible ; mais l’idée de laisser en souffrance, sous une forme quelconque, le budget de l’état, cette idée n’a pu assurément venir un seul instant à des esprits sérieux, quelque passionnés qu’ils puissent être. Les complications profondes, sérieuses, qui en résulteraient aussitôt et qui se succéderaient rapidement seraient d’une telle nature que les conséquences ne tarderaient pas à retomber sur ceux qui n’auraient pas craint de se prêter à cet immense désordre. Imagine-t-on ce qui arriverait, si pour le 1er janvier le budget n’était pas voté, si tous les services publics n’étaient point assurés, sous prétexte que la chambre ne serait pas absolument satisfaite d’un ministère que M. le président de la république aurait constitué ? Non, ce n’est pas cela, dira-t-on, l’esprit de parti n’ira pas jusqu’à ces extrémités dont le pays tout entier souffrirait bien vite. On ne se donnera pas le ridicule de refuser le budget, on votera l’essentiel, puis on tirera les cordons de la bourse pour certaines dépenses, on disputera certains crédits, et on n’accordera que des douzièmes provisoires. Ceux qui font ces beaux projets ne soupçonnent pas apparemment les confusions qu’ils créeraient, les interruptions de services qu’ils provoqueraient, les coups qu’ils porteraient à la marche des affaires par ce vote marchandé, fractionné et toujours incertain du budget, sans parler des dangers